Société de l'Information Psychiatrique

Le dispositif des soins sans consentement connaît certaines « dérives » et manque de transparence


Publié le 15/02/17

Dossier en 2 parties

La mission parlementaire d’évaluation sur la loi du 27 septembre 2013 sur les soins sans consentement vient de rendre son rapport. Il met notamment en lumière la nécessité de pallier les recours trop fréquents aux procédures d’urgence ou encore d’enquêter sur les raisons de l’augmentation de la file active et sur la teneur des programmes de soins.
Partie 1/2

Les députés épinglent la banalisation du recours aux admissions en soins pour « péril imminent »

La mission parlementaire cible notamment les recours trop fréquents aux procédures d’urgence en matière de soins sans consentement, ainsi que certains vides statistiques pour évaluer efficacement le dispositif. Elle presse par ailleurs le Gouvernement de publier « dans les meilleurs délais » sa circulaire relative à l’isolement et à la contention.

La mission d’évaluation de la loi du 27 septembre 2013 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques a présenté le 15 février à l’Assemblée nationale son rapport, co-rédigé par les députés Denys Robiliard (SER, Loir-et-Cher) et Denis Jacquat (Les Républicains, Moselle). La mission s’est concentrée sur l’apport de loi de 2013 au regard des droits du patient mais elle a aussi orienté ses travaux dans la perspective initiée par la loi du 5 juillet 2011 et des modifications consécutives à la loi de Santé de janvier 2016. Les rapporteurs ont ainsi saisi « l’occasion de l’imminence de la publication des travaux de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé(Irdes) pour dresser tout d’abord un état des lieux des tendances significatives » des soins sans consentement.

Enquêtes nécessaires sur la hausse de la file active

Parmi les évolutions notables, les rapporteurs ont tout d’abord relevé une augmentation de la file active des patients en soins sans consentement (lire notre analyse). Si l’on observe « une stabilité de la répartition des modes d’admission depuis l’application de la réforme de2011 —environ 8patients sur10 admis sur décision d’un directeur d’établissement à la demande d’un tiers, 18% sur décision du préfet— […], l’admission en soins sans consentement se caractérise aussi par une hétérogénéité d’application selon les territoires« , soulignent-ils. Et d’ajouter que les raisons de cette hétérogénéité « mériteraient d’être creusées« . Par ailleurs, les travaux de la mission se sont heurtés à l’absence de statistiques nationales portant sur la répartition territoriale des modes légaux d’admission. Les députés formulent donc une série de recommandations portant sur l’exhaustivité et la qualité des données. La variabilité territoriale du recours à ces soins « mériterait par ailleurs une enquête plus poussée sur ses déterminants« .
S’agissant des évolutions observées depuis 2011, la mission s’est d’ailleurs interrogée sur la progression significative du nombre de patients suivis en soins sans consentement (92 000 en 2015). Elle serait « principalement due à un « effet stock » des patients dont la prise en charge au titre des programmes […] excède une année« . En 2015, expliquent-ils, près de 37 000 personnes ont fait l’objet d’une prise en charge ambulatoire, soit 40% du nombre total de personnes en soins sans consentement. Cette augmentation « significative met en lumière l’accès élargi des patients à une gamme de soins plus variée et autorise une désinstitutionnalisation de la psychiatrie […], y compris pour les troubles sévères« . Plus de 60% des patients dans de tels programmes souffrent de troubles psychotiques. Parallèlement, les rapporteurs relèvent une augmentation de la durée du programme de soins ainsi que de la durée moyenne d’hospitalisation. Ils appellent ainsi à « une enquête exhaustive portant sur le recours aux programmes de soins et l’efficacité de cette prise en charge« . Ils estiment également que la Haute Autorité de santé (HAS) devrait élaborer des recommandations sur ces programmes, ce qui clarifierait le dispositif et harmoniserait les pratiques.

Le « péril imminent » utilisé pour désengorger les urgences

Enfin, la mission parlementaire constate « une certaine banalisation du recours aux procédures d’urgence« . Cette tendance, déjà observable avant 2011, s’est durablement installée dans le paysage des soins sans consentement, indiquent les députés. « Par définition moins protecteur, le recours aux procédures d’urgence ou allégées mériterait d’être davantage documenté » mais, là encore, ils déplorent l’absence de données nationales exhaustives permettant d’éclairer ce phénomène et d’encadrer des pratiques territoriales « très hétérogènes et parfois contra legem ». L’admission en soins pour péril imminent, nouveauté introduite en juillet 2011 pour la prise en charge des personnes isolées, concerne ainsi un patient en soins sans consentement sur cinq et « apparaît davantage comme un expédient pour désengorger les services d’urgence« , écrivent-ils. En effet, deux tiers des patients relevant de cette procédure sont passés par les services d’urgence. La mission propose « de prendre à bras-le-corps cette dérive en s’appuyant davantage » sur les commissions départementales de suivi psychiatriques (CDSP, lire l’interview du dossier). Elle propose d’encourager « les dispositifs alternatifs de prise en charge des patients en amont et en aval des services d’urgences dans les territoires caractérisés par un fort taux de recours aux procédures d’urgence« . Elle sensibilise enfin les personnels médicaux à une amélioration de leur pratique, « conformément à l’éthique médicale et au cadre fixé par le législateur, à travers des recommandations » émises par la HAS.

Un contrôle judiciaire de la contention et de l’isolement ?

Plusieurs représentants d’associations d’usagers de la psychiatrie ont estimé que le principal défaut de la loi de 2013 tient à ce qu’elle n’a pas étendu le contrôle judiciaire aux conditions d’hospitalisation (notamment en cas d’isolement et de contention). La mission a choisi de s’intéresser à cette question. Les rapporteurs espèrent à ce sujet que « seront publiées dans les meilleurs délais tant la circulaire du ministère des Affaires sociales et de la Santé relative à la contention et à l’isolement que les recommandations de bonnes pratiques de la HAS en la matière » (lire notre article). En tout état de cause, commente pour finir la mission, il semblerait « qu’émerge en jurisprudence un contrôle judiciaire de la proportionnalité des décisions de contention et de placement à l’isolement, pour la plus grande satisfaction d’associations d’usagers« . Mais aussi pour « la plus grande satisfaction de magistrats qui estiment que leur degré de gravité au regard des droits des patients justifie que le juge les examine« , y compris lorsqu’elles sont prises dans le cadre d’hospitalisations libres.
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Partie 2/2

DENYS ROBILIARD, CO-RAPPORTEUR SUR L’ÉVALUATION DE LA LOI DE 2013 SUR LES SOINS SANS CONSENTEMENT

« Il faut réaffirmer le rôle des commissions des soins psychiatriques dans leur visite des hôpitaux »

Le député Denys Robiliard, co-rapporteur de la mission d’évaluation de la loi de 2013 sur les soins sans consentement, évoque pour Hospimedia les suites qui pourraient être données à son rapport. Il préconise une réactivation du rôle des commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP), qui pourrait passer par une révision législative.

Hospimedia : « Pourriez-vous nous éclairer sur le contexte de la mise en place de la mission d’évaluation que vous venez de mener à bien avec le député Denis Jacquat, sur la loi du 27 septembre 2013, loi dont vous étiez d’ailleurs déjà le rapporteur ?

Denys Robiliard : Un peu plus de trois ans après l’adoption de cette loi, il nous a semblé nécessaire d’évaluer l’application des différentes mesures instituées par le texte. Nous avons donc créé une mission à cet effet, comme l’autorise le règlement de l’Assemblée nationale. Cette loi répondait en premier lieu à la censure du Conseil constitutionnel sur deux dispositions de la loi de juillet 2011. Le conseil avait donné au législateur jusqu’à octobre 2013 pour réformer la procédure de mainlevée des mesures de soins psychiatriques sans consentement des personnes ayant séjourné en unités pour malades difficiles (UMD) ou hospitalisées à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale. La loi de 2013 a également allégé la procédure par la suppression d’un certain nombre de certificats, précisé le programme de soins et les mesures sur les sorties d’essai, qui sont entrées immédiatement en vigueur. La réforme de la procédure judiciaire (délai de saisine du juge, délai ouvert au juge pour statuer, lieu de l’audience, suppression de la visioconférence et représentation obligatoire du patient par un avocat) est entrée pour sa part en vigueur en septembre 2014. Pour évaluer ces différents points, la mission a mené ses travaux durant près d’un mois, un peu à marche forcée, puisqu’il fallait que la commission des affaires sociales puisse adopter le rapport avant que la session parlementaire ne se termine, à la fin du mois. Nous avons réalisé plus d’une quinzaine d’auditions et de tables rondes, ainsi que deux déplacements, l’un à l’Hôpital Sainte-Anne et à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP), l’autre à l’hôpital de Meaux en Seine-et-Marne.

H. : Le dispositif des soins sans consentement relève de différentes administrations (Intérieur, Justice, Santé…). Avez-vous pu auditionner tous les interlocuteurs que vous souhaitiez ?

D.R. : Sur le volet sanitaire, nous avons pu auditionner les principaux acteurs du monde hospitalier (directeurs d’hôpitaux généraux et spécialisés, psychiatres, usagers, etc.), ainsi que la Direction générale de santé (DGS) et la DGOS. Mais nous regrettons, faute de temps, de ne pas avoir pu auditionner les ARS, parce que ce sont des acteurs très importants du dispositif. Un seul ministère ne nous a pas répondu, celui de l’Intérieur, à l’exception notable de la préfecture de police de Paris et de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

H. : La loi de 2013 portait notamment sur les droits des personnes suivies en soins sans consentement. Y a-t-il des avancées en la matière ?

D.R. : L’effectivité de l’exercice de ces droits est encore perfectible. Entre ce que prévoit la loi en matière de garantie des libertés individuelles et ce qui se passe concrètement dans la pratique, il y a parfois une grosse différence… Les pratiques varient énormément d’un lieu à l’autre, d’un hôpital à l’autre — voire d’un service à l’autre dans le même établissement  — ou d’une juridiction à l’autre. Cela tient à de nombreuses raisons, comme les moyens humains et financiers, l’implication plus ou moins grande des professionnels concernés sur le terrain…. Pour reprendre la formule du Dr Isabelle Montet, représentant le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), « les logiques médicale, judiciaire et sécuritaire se superposent plus qu’elles ne se complètent« . Ce qui n’est pas sans susciter certaines frictions entre les différents acteurs de la procédure d’admission en soins sans consentement. Or, comme l’a justement souligné Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, la mise en œuvre de la loi dépend largement de la bonne intelligence de ces acteurs sur le terrain, notamment de la qualité des relations entre préfets, juges des libertés et de la détention (JLD), psychiatres et directeurs d’hôpitaux. Nous pensons donc qu’il serait nécessaire de continuer à organiser et développer des formations communes aux magistrats, avocats et soignants sur ces dossiers contentieux très techniques et spécifiques.

H. : Quels sont les premiers retours sur la réforme de la procédure judiciaire de contrôle des mesures de soins, en matière de date et du lieu de l’audience, posé par principe au sein de l’hôpital ?

D.R. : La tenue de l’audience au plus tard le douzième jour suivant l’admission en hospitalisation complète et, à titre de principe, dans une salle aménagée sur l’emprise de l’établissement d’accueil, fait l’objet d’un large consensus. Nous avons été satisfaits de constater l’absence de toute stratégie médicale de contournement de la loi par des levées d’hospitalisation massives destinées à éviter le contrôle judiciaire. Si certains militent pour un contrôle judiciaire avancé dès l’admission et étendu aux programmes de soins, si d’autres encore font valoir les difficultés logistiques pour les hôpitaux, les juridictions et les avocats, de l’organisation d’audiences dans des salles mutualisées, et si la question du port de la robe à l’audience fait toujours débat, il y a en revanche une quasi unanimité pour approuver la suppression de la visioconférence et la possibilité ouverte aux justiciables d’obtenir, de droit, la tenue des débats à huis clos. En revanche, la réduction par la loi du nombre de certificats ou avis médicaux produits à l’audience est, elle, davantage débattue. Plébiscitée par les psychiatres, elle est critiquée par certaines associations d’usagers. Par ailleurs, les avocats et magistrats déplorent la qualité variable des certificats médicaux et s’inquiètent du fait que des avis médicaux attestant du caractère « non-auditionnable » et « non-transportable » de patients sont souvent établis pour des motifs plus logistiques que médicaux.

H. : Votre rapport pointe notamment une dérive, celle de la banalisation des recours aux procédures d’urgence. Comment cette tendance pourrait-elle être renversée ?

Le recours aux procédures d’urgence ou dérogatoires constitue en effet une pratique désormais bien trop ancrée dans le paysage des soins sans consentement. Et cette tendance lourde n’a été enrayée ni par la loi de 2011 ni par celle de 2013. C’est une véritable banalisation de l’urgence à laquelle on assiste, au risque d’un dévoiement de l’esprit de la loi. Le recours immodéré aux admissions pour péril imminent contribue à élever l’allégement de la procédure au rang d’une pratique médicale et/ou administrative courante dans certains territoires. Même s’il n’est pas question de remettre en cause la nécessité de protéger la santé du patient, il n’est pas anormal de s’interroger sur les modalités de cette protection. Nous savons certes que pour qu’une loi s’installe dans les faits, cela peut être long ! Il faut parfois dix ans pour les textes un peu complexes… Mais nous avons identifié le fait que certaines commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) travaillent très bien, d’autres ne travaillent pas du tout ! Elles ne se réunissent même pas… Or ce sont les ARS qui sont en charge du secrétariat de ces CDSP. Dans certains départements, elles ne convoquent parfois pas les commissions, alors même que les associations d’usagers, l’Unafam par exemple, signalent qu’elles doivent se réunir plusieurs fois par an. Ces CDSP restent importantes, elles ont un rôle très précieux. Mais comme les lois de 2011 et 2013 n’ont pas modifié leurs compétences malgré l’instauration du contrôle judiciaire systématique, je pense donc qu’il y a besoin de réactiver leur rôle, de réarticuler leur champ de compétence avec celui du JLD. Cela doit passer par une modification de la loi. Elles ont une compétence départementale donc n’ont pas un regard aussi large et acéré que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) mais je pense qu’il est très important que ces commissions interdisciplinaires, composées de magistrats, psychiatres, représentants d’usagers et des familles, aillent visiter les établissements de santé de leur département, puissent interroger les patients, parfois contenus sur un lit. Le CGLPL a certes une équipe conséquente mais il est là pour toute la France et il ne contrôle pas que les hôpitaux psychiatriques… Et les CDSP, ce n’est pas comme les JLD, qui viennent en salle d’audience. Le juge peut passer dans les couloirs mais ne rien voir de ce qui se passe à l’hôpital ! Il ne faut pas croire que parce qu’on a fait entrer les juges à l’hôpital, le regard extérieur s’est installé. Son rôle est reconnu, sa présence à l’hôpital, symboliquement, est importante, mais cela ne suffit pas ».
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Caroline Cordier