Société de l'Information Psychiatrique

Après le récent rapport Couty, dans lequel la grande majorité des professionnels de la discipline ne se reconnaissent pas puisqu’il organise sans l’avouer la fin de l’esprit et des principes de la sectorisation psychiatrique, on attendait de l’Opeps et de notre haute assemblée un examen détaillé, impartial et critique de la politique poursuivie en matière de santé mentale dans notre pays. Plus qu’un nouveau rapport proposant une réorganisation de la discipline — rarement suivi d’effets et tellement nombreux antérieurement qu’un précédent ministre de la santé, B. Kouchner, avait souhaité la rédaction d’un « rapport des rapports », on espérait une analyse des mécanismes politiques et des raisons pour lesquelles on aboutit à un constat d’échec désormais partagé.

Il n’en n’est rien. L’office faillit à sa mission en ne faisant pas l’analyse des politiques publiques de santé mentale ni de l’évolution des moyens qui leurs ont été consacrés, face à une demande et des besoins toujours en augmentation. Au lieu de cela, on assiste à une véritable remise en cause quand ce n’est pas une mise en accusation de la discipline, de son organisation et de ses assises théoriques au travers d’un prisme déformant de points de vue épidémiologiques, hygiénistes, universitaires et médicaux dont les conceptions proprement cliniques de la psychiatrie semblent être exclues.

Malgré une documentation importante mais qui reste fort peu exploitée, le résultat est affligeant : approximations, fausses déductions, affirmations péremptoires, caricaturales ou lapidaires aboutissent à une vision superficielle, partiale et incohérente de la discipline qui va jusqu’à faire regretter aux auteurs la séparation de la psychiatrie et de la neurologie !
C’est un patchwork de réflexions et de raccourcis amalgamant des données scientifiques éparses au service de représentations réductrices, quand elles ne sont pas naïves, de la maladie mentale.

Ce constat d’échec trouverait ainsi sa source dans la position des professionnels sur lesquels on porte un regard tantôt apitoyé (la stigmatisation du malade rejaillit sur eux, ils sont abandonnés comme les malades) et tantôt moqueur, en raison de leur attitude passéiste, de leur manque de cohérence et de collaboration, de leurs divergences et de leur compréhension insuffisante de la maladie mentale. Impuissante, inefficace, mal organisée, la psychiatrie devrait s’ouvrir aux plus récentes découvertes des neurosciences et de la génétique et se ranger dans le giron des disciplines purement médicales.

En réalité, les difficultés auxquelles se trouve confrontée la psychiatrie ne proviennent pas d’une erreur des conceptions qui ont présidé à la mise en place de l’organisation des soins en France et notamment du secteur mais au contraire de la grave insuffisance du soutien apporté à cette véritable démarche de santé publique, fortement sollicitée, qui ne trouve pourtant dans ce rapport qu’une reconnaissance du bout des lèvres. Elles proviennent bien moins d’un déficit en terme de compréhension de l’origine des troubles, de capacité de diagnostic ou de possibilité de traitements et de prises en charge que de l’absence de volonté et de moyens suffisants attribués à la discipline qui puissent permettre leur mise en place effective. Et c’est au contraire faute d’une insuffisance de reconnaissance de sa spécificité au sein de la médecine que la psychiatrie est aujourd’hui particulièrement maltraitée. Considérer la psychiatrie à l’égal des autres disciplines en l’enfermant à l’intérieur du paradigme bio-médical conduit à dénier les particularités des aléas de la vie psychiques, à méconnaître que la maladie mentale atteint l’homme dans son être global et qu’elle est une pathologie de sa liberté, et à faire abstraction de sa dimension sociale. C’est une erreur fondamentale d’une extrême gravité pour les patients, la santé publique et les sommes qui lui sont consacrées.

On attendait vraiment mieux. C’est une très mauvaise introduction au débat parlementaire qui doit suivre, ravivant en supplément des controverses internes à la discipline qui sont aujourd’hui dépassées. Le pire côtoie la répétition des formules creuses et des sempiternelles propositions sur lesquelles on ne peut qu’être d’accord, mais qui restent tellement générales qu’elles trahissent déjà la volonté de ne jamais les faire suivre de mesures efficaces de mise en place.

Ce rapport, qui propose des Etat Généraux permettant aux professionnels « de s’exprimer » ( sic !), qui seront sans nul doute organisés à l’instar des pseudo concertations qui ont précédé la loi HPST, n’a en réalité qu’un seul objectif : préparer le terrain du vote de l’intégration de la psychiatrie dans l’organisation PST telle que le rapport Couty la préconise, en effrayant par l’importance des enjeux financiers (la fondation FondaMental produit comme par hasard à point nommé l’estimation du coût total des maladies mentales), en avançant déjà le pion d’expérimentations, en jetant de la poudre aux yeux des récalcitrants, et en distribuant quelques sucres d’orge. Finalement, l’Opeps, par ce constat biaisé et cette vision catastrophiste des prises en charge, se situe aux antipodes de sa mission en fournissant le prétexte à la méconnaissance des véritables raisons des difficultés majeures dans lesquelles se débat aujourd’hui la discipline. C’est vraiment très mal parti.

La psychiatrie publique a, avant tout, besoin de moyens humains, médicaux et non médicaux, et d’amplifier les structures de soins qui composent l’organisation sectorielle en permettant aux équipes de les adapter aux situations locales. Elle a besoin d’une unification territoriale cohérente qui reconnaisse sa spécificité et ses voies propres de financement. Elle doit bien sûr bénéficier d’un développement considérable de la recherche et avoir en supplément la capacité, impossible actuellement en raison des restrictions de toute sorte, de mettre en place des pratiques de soins innovantes au sein des équipes de terrain. La prévention, le lien à la communauté, les coopérations avec les autres professionnels et le partage des tâches avec des collaborateurs spécialisés sont déjà au cœur de ses conceptions. Seuls les moyens manquent.

Nous ne nous reconnaissons nullement dans ce rapport qui n’aborde aucun des points que nous considérons comme essentiels et que nous répétons :

1- Le maintien du secteur de psychiatrie dans sa globalité (intra et extra-hospitalier) comme structure de base généraliste dévolue à une population de 50 000 à 100 000 habitants.

2- La reconnaissance d’une nécessaire spécificité du dispositif psychiatrique au niveau territorial, soit par la promotion de G.C.S. (Groupement de Coopération Sanitaire) dans chaque département ou zone importante, réunissant la psychiatrie de secteur en CHG, en CHS, en CHU et le médico-social, soit par la mise en place d’une territorialité adaptée aux CHS et aux services de psychiatrie des CH. C’est le moyen de promouvoir l’organisation d’une véritable territorialité conforme à notre pratique de proximité et aux besoins de la population.

3- La pérennité des modalités spécifiques de gestion nationale du corps des psychiatres des hôpitaux au regard de leur nécessaire indépendance liée à leur implication dans la législation des hospitalisations sans consentement.

4- La mise en place de mesures appropriées identifiant et préservant de façon incontournable les budgets dévolus à la psychiatrie.