RAPPORT MORAL, 3 octobre 2011
Ce dernier printemps, une voix s’est tue, celle d’un partisan de la réforme de la psychiatrie quand le SPH n’était encore que le jeune Syndicat des Médecins des Hôpitaux Psychiatriques, celle d’un militant, engagé du SPH dont il a occupé les fonctions de secrétaire général et de président, celle de Jean Ayme, décédé ce 31 mars 2011.
Cette voix disait une époque et les grands noms de la psychiatrie française qui, avec des Daumézon, Bonnafé, Ey, Le Guillant, Sivadon, voulaient hisser les échanges d’une amicale de médecins des aliénés au rang de combat syndical de l’après-guerre politisée, faisaient converger psychanalyse et détermination à changer le sort des malades mentaux oubliés dans les asiles, permettaient la réunion même brève au sein des collectifs d’un Tosquelles et d’un Lacan. De rassemblements éphémères en confrontations plus ou moins féroces, la diversité des orientations théoriques et des appartenances politiques était alors un terrain fertile pour aussi bien créer la psychothérapie institutionnelle que poser les bases de la future politique de secteur, concentrer les disparités d’un corps professionnel dans la définition d’un statut de psychiatre et lutter pour mettre l’enseignement de la psychiatrie, dégagée du CES de neuropsychiatrie, sur un pied d’égalité avec les autres disciplines cliniques. Jean Ayme a ainsi participé aux années de créativité d’une psychiatrie française en mutation et laissé dans ses écrits une mémoire du rôle joué par le syndicat dans cette époque féconde.
Alors que la loi HPST, la réforme du statut des PH et la loi du 5 juillet viennent de s’imposer contre la mobilisation syndicale, ouvrir cette assemblée générale par un hommage et l’évocation de disparus renommés comporte le risque de réduire par comparaison le SPH de 2011 au seul mythe de ses héros du siècle dernier, et cette incantation aux braves pourrait bien passer pour un moyen de conjurer les désillusions syndicales et la disparition des derniers psychiatres mohicans. C’est que rarement célébrée et toujours suspecte, la psychiatrie réclame elle aussi ses Maîtres et Jacques Lacan vient ainsi de revenir dans l’actualité par un trentième anniversaire de sa mort. Mais si l’on se contente de comparer le syndicalisme de la psychiatrie conquérante d’une moitié du 20e siècle avec les temps moins glorieux des scissions syndicales et des dernières mobilisations frappées au mépris du ministère, on ne verra plus du SPH contemporain que son héritage : une galerie de portraits et des idéologies vacillantes.
Or le syndicalisme doit faire avec un nouveau siècle que certains, à l’occasion des commémorations de ce mois de septembre, ont qualifié de lacanien. Et lacanien surtout par la réalisation des prophéties du Maître que l’autre anniversaire médiatique de septembre 2011 semblait illustrer : le triomphe de la religion et du plus-de-jouir du discours capitaliste, dont le choc frontal a alimenté la surexposition médiatique de la destruction du world trade center, puissant symbole du marché occidental.
Quand le marché semble donner la cadence au monde, la crise économique s’énonce comme un fléau naturel qui justifie depuis plusieurs années l’application de recettes de gestion du risque au service public hospitalier. La loi HPST résulte ainsi de la traduction de la RGPP de 2007, préparée par les outils du New Public Management des années 80. La crise, devenue « de la dette », enfonce tous les clous. Fitch Ranks, classée 3e en part de marché parmi les « Big Three » agences globales de notation financière, a, il y a quelques semaines, complété son rapport sur les entités de secteur public par une expertise des hôpitaux publics français. L’APHP, bien que déficitaire, y détient la note enviée du triple A, et la loi HPST, que d’ignorants réactionnaires comme le SPH et la CPH ont combattu, est assimilée par l’agence à un facteur de fiabilité financière, grâce au renforcement de la tutelle de l’Etat sur les établissements. Et si les outils de cette gouvernance ne suffisaient pas pour rassurer le monde de la finance, l’agence juge en outre que la faillite des hôpitaux est improbable puisque l’Etat ne saurait délaisser sans dommages la santé, secteur socialement et politiquement sensible. Manière d’encourager à spéculer non seulement sur les services publics mais sur la valeur de la mission même de service public.
Mais cette bonne nouvelle ne tiendrait que si les états évitent eux-mêmes la faillite, et que les gouvernements continuent de se soucier suffisamment de ce secteur « politiquement sensible » pour le maintenir comme une de leurs missions. Ce qui n’est pas garanti si l’on examine par exemple les propositions de la fondation IFRAP, think tank de la société civile qui vante un pouvoir d’influence capable d’avoir fait passer dans la législation, entre autres, l’ouverture du recrutement des directeurs d’hôpitaux publics aux diplômés du privé. Sa directrice, Agnès Verdier-Molinié, nommée au Conseil de Diffusion de la Culture Economique par Christine Lagarde alors ministre de l’économie, répand l’idée que si l’état doit se concentrer sur la baisse des dépenses publiques, il doit le faire en supprimant carrément des missions. Dans le domaine de la santé, l’application de la RGPP aux personnels hospitaliers et le modèle de gestion des cliniques privées à l’hôpital public sont quelques unes de ses idées pour faire 6 milliards d’euros d’économie.
La stratégie syndicale doit faire avec ce nouvel environnement où, pour cause de mondialisation de la dette, les Etats emprunteurs placent leur souveraineté sous l’influence des institutions du marché qui n’ont, elles, pas de compte à rendre au suffrage universel : face aux aléas des notes attribuées par les agences, c’est sur les instruments de gouvernance interne que la rigueur du contrôle s’abat. Dans les hôpitaux les outils de la Nouvelle Gestion Publique se sont installés avec la loi HPST : les concentrations et fusions des services s’associent à la promotion des partenariats public-privé pour réduire la surface d’intervention de l’Etat providence, trop dispendieux, tandis que les contractualisations, évaluations et indicateurs de performance servent les formes modernes de caporalisation au sein de l’Etat devenu manager. Le maintien de spécificités pour la psychiatrie publique n’ayant aucun intérêt dans cette logique dominante, la fin des procédures spécifiques de nomination pour les psychiatres hospitaliers est venue compléter la dissolution des secteurs dans les territoires régionaux de santé et, au sein des établissements, dans les regroupements en pôles.
« Dans une maison d’aliénés, il doit y avoir un chef et rien qu’un chef de qui tout doit ressortir. Le médecin donne l’impulsion à tout ». C’est ce qu’écrivait Esquirol lorsque l’aliénisme naissant devait conquérir sa place comme nouveau savoir médical contre les pouvoirs administratifs et judiciaires de l’enfermement. Deux siècles plus tard « Il faut que l’hôpital psychiatrique ait un patron, et un seul, qui ait le pouvoir de dire oui, de décider et d’agir » affirme le chef de l’Etat pour sa 1ère visite dans un établissement psychiatrique : il y confirme que la psychiatrie n’échappera pas à HPST mais il est surtout venu annoncer la réforme des HO que peut faciliter le réagencement des hiérarchies dans la nouvelle gouvernance. Le patron promis ne sera pas le médecin psychiatre dont le savoir nébuleux ne saurait faire autorité face aux pouvoirs administratifs garants de l’ordre public.
Le premier projet de réforme de la loi de 90 présenté par le ministère au mois de mai 2010 a donc surtout pour but d’empêcher que les décisions de sorties d’une personne hospitalisée d’office, soient, comme l’a souligné le chef de l’état, prises à la légère, et doit permettre une obligation de soins même en cas d’absence ou de défaut de famille. La prolifération des avis médicaux demandés y apparaît comme un remède à leur manque de fiabilité et les dispositions de la circulaire du 11 janvier 2010 adressée aux préfets, qui favorisent l’exclusion préventive à l’hôpital de certains patients selon leurs antécédents, y sont légalisées.
Mais comme pour répondre à Mireille Delmas-Marty qui appelle à « raisonner la raison d’Etat » des démocraties qui ont toutes durci depuis le 11 septembre leurs législations préventives et répressives, un système de contrepouvoirs est venu perturber ce programme sécuritaire bien ordonné: 2 décisions du Conseil Constitutionnel ont introduit ce que les ministères avaient refusé d’envisager, le contrôle systématique d’un juge de la privation des libertés que constitue depuis toujours l’hospitalisation psychiatrique sans consentement. Et comme atteints pendant les débats parlementaires par quelques ondes de choc des printemps arabes, les sénateurs ont montré un peu plus de vigueur que les députés pour contester le projet de loi réécrit. Il n’en résulte pas moins que depuis 2 mois, c’est une mise en œuvre de la pagaille légale et l’organisation de l’absurdité qui s’est abattue sur les établissements psychiatriques obligés d’appliquer un mauvais texte de loi, assemblage forcené de logiques opposées. Même les syndicats de directeurs, peu ravis d’être les patrons d’une telle galère, expriment leur mécontentement et leur crainte d’être tenus pour responsables.
Bien rôdé à l’art de la fausse concertation, le ministère a aussi rallumé avant la promulgation de la loi, sa machine à tours de table : alors que les professionnels demandaient une loi globale d’organisation de la psychiatrie dans la santé mentale pour ne pas restreindre les soins à un volet législatif sur les contraintes, leurs représentants sont conviés depuis juin à exprimer avec les associations d’usagers ce qu’ils attendent du 2e plan de santé mentale qu’ils ne demandent pas. Les fiches techniques conçues par le ministère pour guider les réflexions des participants établissent un inventaire disparate sans la poésie d’un Prévert, qui fait côtoyer des chiffres, des considérations sur des populations cibles, des généralités sur la santé mentale positive, une promotion de l’éducation thérapeutique, etc. On y voit ainsi resservies les idées qui devaient en 2007 permettre la rédaction du décret des autorisations d’activités en psychiatrie, décret qui n’a pas vu le jour. Plutôt qu’une loi globale d’orientation qui aurait pu donner de la cohésion à l’ensemble, la psychiatrie n’aurait besoin selon le ministère que d’une série de mesures sur des axes arbitrairement déterminés et rassemblées dans un plan. Nouvelle preuve que la psychiatrie n’y est pas vue comme une discipline dont la spécificité des besoins pour les patients motiverait la spécificité d’organisation à partir des secteurs, mais qu’elle devra se couler au prétexte de ne pas stigmatiser les malades, dans le moule MCO de la loi HPST tout en flirtant, pour faire de la santé mentale, avec le médicosocial, les questions du handicap et de la dépendance.
Pour sortir de la plainte sur l’évolution de la psychiatrie en milieu hostile, on peut quand-même se souvenir que ce Corum qui accueille notre assemblée avait en 2003 reçu l’énergie de la communauté psychiatrique décidée à faire entendre son unité et sa volonté de résistance. On pourra toujours avec l’esprit chagrin dire qu’aucune des 22 mesures demandées n’a abouti, mais si l’esprit d’union de ces Etats Généraux qui ne relèvent pas de la préhistoire peut encore habiter ces lieux, cette AG 2011 est le moment idéal pour faire avancer la réunification syndicale. Les réformes tombées sur la psychiatrie publique et ses praticiens sont assez agressives pour gommer les raisons initiales des scissions et devraient suffire à réconcilier les syndicats qui tous, font face à la désyndicalisation générale, au sacrifice obligatoire d’une partie des adhérents sur l’autel de la pyramide des âges et à la préférence du ministère pour les experts jetables plutôt que pour les représentants de professionnels. De nouveaux enjeux tels que la formation des psychiatres sans psychothérapies (demande des internes de recevoir un soutien à la formation aux psychothérapies non résumées aux TCC adressée à la FFP), la poursuite du grignotage du service public par l’autorisation depuis HPST pour les cliniques privées d’être terrain de stages pour les internes, la substitution de la FMC par le DPC soustrait à l’autonomie d’organisation des professionnels, les propositions du dernier rapport sur l’exercice médical qui organise la précarité des médecins des hôpitaux, le licenciement de psychiatres pour des motifs qui ne constituent pas des fautes médicales et confirme l’immixtion inacceptable de conceptions administratives sécuritaires dans les soins, etc. constituent quelques motifs supplémentaires pour bâtir une union syndicale de défense à la fois de la psychiatrie et des psychiatres.
Avant d’amener, de la place de syndicat, la psychiatrie sur le terrain politique des présidentielles, les toutes proches élections professionnelles des commissions statutaires interrogent déjà les possibilités et la solidité de l’union syndicale. Si la psychiatrie est bien obligée de faire avec la variété de ses orientations du fait de la complexité et de la richesse de son objet, le chantier de la réunification syndicale constitue un défi où il sera question d’éviter la confusion entre différences et divisions et où il sera temps de redécouvrir que multiplicité n’est pas un multiple de duplicité.
Je vous souhaite à tous, chers adhérents, conseillers et secrétaires, membres du bureau, une AG 2011 stimulante.
Isabelle Montet, secrétaire générale du SPH