Société de l'Information Psychiatrique

La pédopsychiatrie exerce-t-elle vraiment dans son champ de compétences?

Le 20 janvier 2017
PARIS, 20 janvier 2017 (APM) – La pédopsychiatrie exerce-t-elle vraiment dans son champ de compétences, se sont interrogées deux représentantes du Haut conseil de la santé publique (HCSP), Viviane Kovess-Masféty et Claudine Berr, lors de leur audition par la mission sénatoriale sur la psychiatrie des mineurs.

Elles étaient auditionnés mardi après-midi dans le cadre de cette mission constituée fin novembre 2016 (cf APM MH1OH1GAC), rapportée par le radical de gauche Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône) et présidée par Alain Milon (Les Républicains, Vaucluse).

La mission a déjà procédé à plusieurs auditions (cf APM MH7OIJMO1APM VL3OJKPY1APM MH0OJPMPFAPM MH1OK00V2 et APM VL7OK13RE) et doit rendre son rapport en avril.

Interrogée sur le manque de ressources en pédopsychiatrie, Viviane Kovess-Masféty, membre de la commission spécialisée évaluation, stratégie et prospective (CSESP) du HCSP, a estimé que le souci était plutôt celui de « sa mauvaise répartition géographique et de sa mauvaise répartition au niveau des tâches et des publics vers lesquels [les pédopsychiatres] se tournent ».

« La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la pédopsychiatrie exerce dans son champ de compétence », a-t-elle relevé.

« La pédopsychiatrie est conviée dans de multiples domaines qui, en fait, ne sont pas de son ressort. Et, inversement, elle est de facto exclue des champs où sa compétence pourrait être le plus utile et où se trouvent les troubles les plus graves », a-t-elle estimé.

Citant « l’aide sociale à l’enfance » (ASE), « toutes les institutions médico-sociales » et « les enfants ayant à faire avec la justice », elle a souligné que « là, c’est vraiment le champ où les pédopsychiatres sont dans leur coeur de métier. Mais en fait, quand ils sont convoqués à l’ASE ou dans le médico-social -où ils sont très peu présents-, c’est pour ‘éteindre un feu’ alors que, quand il s’agit d’enfants gravement perturbés, c’est un travail à long terme, de formation des équipes; ça n’est pas venir parce qu’il y a un problème », a-t-elle insisté.

« Ceci implique une réelle présence de la pédopsychiatrie dans ces contextes, tel que le prévoyait la psychiatrie de secteur », a-t-elle assuré.

Sa collègue du HCSP, Claudine Berr, qui a présenté aux sénateurs les principaux enseignements de l’évaluation du Plan psychiatrie et santé mentale 2011-14 (PPSM) (cf APM VL8O6JUME et APM VL7O6JZ95), a insisté sur les « importants retards de prise en charge, qui sont critiques notamment pour les jeunes enfants mais aussi pour les adolescents ». Et elle a confirmé que les auditions réalisées par le HCSP au moment de l’évaluation du plan avaient « rapporté le constat de la sur-psychiatrisation des comportements, alors qu’en pratique, les enfants avec troubles psychiatriques n’ont pas de prise en charge ».

Des difficultés à travailler avec les autres professionnels

« L’enfance est un monde particulièrement passionnel et concerne des intervenants multiples », a par ailleurs expliqué Viviane Kovess-Masféty.

« On a la famille, bien entendu, l’enseignement, la justice, les services sociaux. Chacun veut, de bonne foi, protéger l’enfant, et faire ‘son bien' », a-t-elle ajouté. « On est là dans quelque chose d’extrêmement difficile au niveau de l’articulation des différentes instances autour de l’enfant. »

« Et, d’une façon générale, ce que le monde de la psychiatrie infanto-juvénile ressent, c’est un déni général de la maladie mentale, qui existe pour les adultes mais qui est encore plus poussé en psychiatrie infanto-juvénile. Il est vraiment difficile, en particulier pour certains intervenants sociaux ou d’éducation, d’admettre que la maladie mentale existe chez les enfants », a-t-elle constaté.

« Pourquoi ce déni général? Cela va de pair avec la peur de la stigmatisation, une peur de la psychiatrisation et des médicaments psychotropes, en contradiction avec les pratiques réelles », a-t-elle expliqué.

En matière de prise en charge médicamenteuse, la représentante du HCSP a soulevé une particularité française pour les enfants et adolescents, en évoquant une étude réalisée sur « 120.00 enfants tirés au sort dans les banques de données de la sécurité sociale ». « Il y a un contraste très particulier, qui est que tout le monde a peur des psycho-stimulants, que nous utilisons deux fois moins que les Hollandais et quatre fois que les Américains. Mais, par contre, nous sommes, pour les enfants, les plus gros consommateurs d’anxiolytiques de la planète… 7% des jeunes filles de 15 ans françaises ont pris un anxiolytique dans l’année… », a-t-elle relevé.

« Et puis, il y a ces clivages entre les soignants et les rééducateurs, les enseignants, les travailleurs sociaux, les intervenants judiciaires. On a vraiment de la difficulté à travailler ensemble et à ce que chacun partage ce sujet commun qu’est l’enfant », a-t-elle insisté.

Viviane Kovess-Masféty et Claudine Berr ont également souligné que, pour les familles, un autre problème vient du point de rupture entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte, avec une transition difficile lorsque les secteurs ne sont pas rattachés aux mêmes établissements,

Pour y remédier, elles ont évoqué la « mise en place d’unités adolescents 12-18 ans qui facilitent le passage vers l’adulte qui auparavant était à 16 ans », et des « réflexions sur la création d’unités jeunes adultes ».