Société de l'Information Psychiatrique

Pédopsychiatrie: des données sur les maladies, pas assez sur les malades

Le 26 janvier 2017
PARIS, 26 janvier 2017 (APMnews) – Il existe des données sur la prévalence des maladies en matière de psychiatrie et de pédopsychiatrie, mais pas assez de données sur les malades, ont expliqué plusieurs intervenants, mercredi, lors d’une audition consacrée à l’épidémiologie et aux connaissances statistiques sur la prise en charge des enfants, organisée par la mission sénatoriale sur la psychiatrie des mineurs en France.

Cette mission d’information a été constituée fin novembre 2016 (cf APM MH1OH1GAC). Elle est rapportée par le radical de gauche Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône). Elle a déjà procédé à plusieurs auditions (cf APM MH7OIJMO1APM VL3OJKPY1APM MH0OJPMPFAPM MH1OK00V2APM VL7OK13RE et APM VL0OK198P) et doit rendre son rapport en avril.

Lors de cette audition, jeudi après-midi, le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre et biostatisticien, a estimé en préambule qu' »on a des informations assez précises sur la prévalence des maladies, mais pas la prévalence des malades ».

« La prévalence des maladies psychiatriques, dans la plupart des pays occidentaux, -à l’exception des addictions- est à peu près constante », a-t-il souligné, notant que l' »on a des données de grande qualité » et, pour les addictions, « on a la chance d’avoir l’OFDT, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, avec des données de grande qualité » aussi.

« Les données sur les malades, c’est beaucoup plus compliqué », a-t-il estimé.

Interrogé par Michel Amiel sur les liens entre « le bien-être et la maladie avérée en passant par la souffrance ‘ordinaire' », Bruno Falissard a répondu qu' »il y a une rupture phénoménologique: un jour on a beau ‘faire aller’, ce n’est plus possible. Et c’est tellement plus possible qu’on a envie de demander de l’aide. […] C’est la plainte qui définit un patient ».

« En pédopsychiatrie, la plainte est délocalisée à un groupe car, le plus souvent, ce n’est pas l’enfant qui se plaint », a-t-il précisé.

« La tentation serait grande de dire que le malade psychiatrique est quelqu’un qui a une maladie psychiatrique définie par un phénotype biologique », a-t-il ensuite prévenu, récusant « une vision mécanistique […] avec une position d’autorité qui proviendrait d’arguments biologiques ».

« Salvador Dali était quelqu’un de bizarre, il a vécu une vie extraordinaire […] mais il n’était pas un patient psychiatrique. Antonin Artaud, c’est un artiste extraordinaire mais il a été en souffrance et […] il était vraisemblablement un patient psychiatrique. A un moment donné, le sujet s’effondre, et c’est cet effondrement qui fait qu’il est malade. Et on a des statistiques pour compter les maladies, mais les statistiques pour compter les malades, aujourd’hui, on ne les a pas… », a-t-il répété.

Lors de cette même audition, Franck von Lennep, directeur de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), a reconnu que la Drees n’avait pas travaillé précisément sur les troubles psychiatriques des mineurs « ces dernières années ».

« Nous avons davantage fortement investi sur la question des majeurs et sur le suicide […]. Nous ne pouvons pas investir toutes les thématiques en même temps… », a-t-il justifié. « La mission que vous menez est très utile pour nous obliger à mener de futurs travaux », a-t-il lancé aux sénateurs. « Ces futurs travaux […] nous conduisent à faire la liste des différentes sources de données […] et de leurs limites », a-t-il précisé.

« Les besoins de soins, de façon très générale […], sont toujours difficiles [à évaluer] », a-t-il expliqué. Concernant la prévalence, « pour avoir une vision ‘malades’, il faut rentrer par la personne -ce qu’on appelle, nous, en ‘population générale’. C’est assez compliqué pour les enfants », a-t-il reconnu.

Une grande enquête « santé mentale » de la Drees dans deux-trois ans

« Nous avons des travaux en cours pour mener une grande enquête santé mentale en population générale dans deux ou trois ans -ça n’a pas été fait depuis 15 ans en France-, mais ce sera probablement ciblé sur les adultes. Et même si on veut intégrer les adolescents, on se heurte assez vite à des difficultés fortes […] lorsqu’on veut interroger des mineurs, dans la relation avec les parents, faut-il ou non l’information des parents ? », etc.

Ce sont des questions auxquelles a été confrontée la Drees dans une enquête sur la périnatalité et « une enquête en cours sur la santé scolaire des enfants en 3e », pour laquelle « un auto-questionnaire » a été introduit, avec « quelques questions sur les pensées suicidaires, sur les automutilations, etc. » .

Le directeur de la Drees a cité un « deuxième type d’entrée, plus facile », pour récolter des données, celle du recours aux soins. « On se heurte quand même à une difficulté importante pour la psychiatrie, qui est le fait que les enfants qui consultent en ambulatoire en établissement ont un numéro anonymisé qui est coupé du numéro qui leur est attribué lorsqu’ils sont hospitalisés ou lorsqu’ils sont en ville », a-t-il relevé.

« On sait compter les recours aux soins en ambulatoire, mais on ne sait pas d’où viennent les enfants ni où ils vont après, comment ils sont traités avant, comment ils sont traités après », a-t-il précisé.

Par ailleurs, concernant les diagnostics en ville, « on ne sait pas quel est le motif d’un recours aux soins chez les généralistes ni pour un adulte, ni pour un enfant… ».

Concernant les délais d’attente, dès lors que les parents ont cherché à avoir un rendez-vous, « il y a très peu de données […] mais nous avons une enquête en cours sur une cohorte de l’Inserm où nous mesurons [ce] délai […] et ce qui se passe entre les deux ». Pour cette enquête, « on espère que les effectifs seront suffisants pour pouvoir cibler les enfants sur la thématique de la santé mentale », a-t-il assuré, ce qui « semble possible », cette enquête portant sur « plus de 30.000 personnes ».

« C’est une enquête totalement innovante que nous avons commencée depuis trois mois. C’est la première fois en France que l’on mesure de façon générale les délais d’attente pour l’accès aux soins », a-t-il fait valoir.

La difficulté d’évaluer les facteurs déclencheurs

Le Dr Anne-Laure Sutter-Dallay, responsable du réseau de psychiatrie périnatale du pôle universitaire de psychiatrie adulte du centre hospitalier (CH) Charles Perrens, à Bordeaux, a souligné la nécessité de « bien prendre en considération » le fait que les troubles chez les enfants évoluent et qu' »il faut toujours avoir à l’esprit la perspective développementale quand on parle des mineurs ».

Ainsi, « les troubles du 0-3 ans ne sont pas ceux du 3 à 6 [ans], qui ne sont pas ceux du 6 à 12, et ne sont pas ceux des ados », a-t-elle relevé.

Elle a ensuite affirmé qu' »on a pas mal de notions sur la prévalence des troubles chez les enfants à partir de 6 ans », mais « pour tout ce qui est des troubles de l’attachement, les troubles du développement précoces, les pathologies du sommeil, les pathologies interactives, sincèrement, on manque vraiment de données consistantes », ainsi que « sur ce que deviennent ces troubles par la suite ».

Si les études de cohorte ne sont pas adaptées à la connaissance de la prévalence, « par contre, elles nous éclairent beaucoup sur les facteurs déclencheurs des troubles et sur les différentes interactions […] même si ce sont des choses difficiles à évaluer », a-t-elle estimé.

« Je voudrais vraiment insister sur la place des parents et des pathologies mentales des parents sur la santé mentale des enfants et sur la survenue des troubles, du tout-petit à l’adolescent », a-t-elle ajouté. « La santé mentale des parents est primordiale dans la santé mentale des enfants […]. Tout ce qui est du soutien à la parentalité reste quelque chose de central », a-t-elle martelé.

Concernant une éventuelle évolution du profil des pathologies psychiatriques, le Pr Falissard a relevé que cette évolution était « essentiellement liée aux instruments de mesure », comme par exemple dans l’autisme. Il est par ailleurs « vraisemblable » que les troubles du comportement alimentaire (TCA) aient augmenté, mais « on peut dire que la plupart des pathologies chez les enfants et les adolescents sont stables, en fait ».

Concernant les « éléments déclencheurs, on en a plein, on en a tellement -et en plus ils sont en interaction les uns avec les autres- que du coup, c’est très difficile d’avoir une action de santé publique sur ces éléments », a-t-il souligné, « à part quelques-uns, comme éviter la violence devant les enfants […]. C’est du bon sens, mais ça marche très bien pour éviter les troubles psychiatriques, plus tard… ».