Société de l'Information Psychiatrique

Le nouveau conseil national de la santé mentale expliqué par son président

PARIS, 14 février 2017 (APMnews) – Le président du conseil national de la santé mentale, le Pr Alain Ehrenberg, a expliqué, lors de son audition face aux sénateurs de la mission d’information sur la psychiatrie des mineurs en France, la manière dont il concevait le rôle de cette nouvelle instance.

La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, a installé le 10 octobre 2016 le conseil national de la santé mentale, présidé par le sociologue Alain Ehrenberg (cf APM VL0OETVGV).

Quatre axes de réflexion prioritaires ont été définis par la ministre: le bien-être des enfants et des jeunes, la prévention du suicide, le suivi des personnes en situation de grande précarité et l’élaboration d’outils pour faciliter la mise en oeuvre des projets territoriaux de santé mentale inscrits dans la loi de modernisation de notre système de santé.

Lors de son audition devant les sénateurs, mercredi 8 février, et selon le compte rendu mis en ligne sur le site du Sénat, Alain Ehrenberg a rappelé que ce conseil était « à la fois une instance de concertation, qui regroupe à peu près l’ensemble des acteurs, professionnels, usagers et familles -environ 75 personnes- et une instance d’expertise et de stratégie pour l’action publique ». Son rôle est « purement consultatif ».

« S’agissant des bonnes pratiques, nous ne sommes pas là pour évaluer les acteurs, comme peut notamment le faire la Haute autorité de santé [HAS], mais l’action publique », a-t-il précisé.

« En France, on polémique beaucoup, mais on discute mal! »

Il a évoqué les « multiples ‘guerres des psys' » dans un contexte de profonde transformation de « l’esprit du soin » -« avant on compensait les handicaps du patient tandis qu’aujourd’hui, on joue sur les atouts de l’individu ».

« La situation [est] particulièrement tendue en ce qui concerne l’enfance et l’adolescence, l’autisme radicalisant ce que j’appelle les guerres françaises du sujet entre les partisans du ‘sujet parlant’ et ceux du ‘sujet cérébral' », a-t-il expliqué.

« En France, on polémique beaucoup, mais on discute mal! », a-t-il jugé. « C’est là, j’espère, que le conseil aura son utilité. Dans ce contexte confus et bruyant, le sens d’une politique de santé mentale et de l’action publique, c’est-à-dire à la fois ses orientations et sa signification, autrement dit, ses finalités, tout cela n’apparaît pas d’une évidence absolue. C’est sans doute l’une des raisons de la création de ce conseil », a-t-il estimé.

Interrogé par le rapporteur de la mission, Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône), spécifiquement sur la prise en charge des mineurs, Alain Ehrenberg a expliqué que « le conseil s’interroge sur les modalités de l’insertion de la psychiatrie des mineurs dans le cadre d’une politique de prévention et de réduction des risques. Il s’agit donc de la placer dans une perspective longitudinale de prévention, où la question pathologique n’est pas nécessairement au premier plan ».

« Ce conseil est obèse avec près de 75 membres dont les intérêts peuvent s’avérer contradictoires », a-t-il également remarqué. « Les pédopsychiatres peuvent s’y sentir remis en question, à l’occasion notamment des débats sur le ‘Pass santé' », cette mesure permettant un accès facilité aux consultations de psychologues, dont l’expérimentation est prévue dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2017 (cf APM MH8OFQWMJ) et reprise dans le plan annoncé par le président de la République fin novembre 2016 pour la santé et le bien-être des jeunes (cf APM VL5OHETGD).

« Il faut penser en termes de facteurs de protection: aujourd’hui, la question éducative est aussi centrale que la question sanitaire et il convient d’ajouter les problèmes d’inégalité sociale et de pauvreté qui représentent des contextes extrêmement favorisants pour toute une série d’autres troubles que psychotiques », a affirmé le Pr Ehrenberg, estimant que le rapport Moro-Brisson sur le bien-être et la santé des jeunes allait, de ce fait, « dans le bon sens » (cf APM VL7OHEQUS).

Dans ce cadre, le conseil national de la santé mentale a constitué une « sous-formation » sur « la période allant de la grossesse au jeune adulte », a-t-il expliqué. « Nous proposons de penser cette question en termes d’intervention précoce dans une perspective d’investissement social. Deux thèmes carrefours doivent être considérés: le bien-être à l’école et les compétences sociales », a-t-il précisé.

« S’agissant du bien-être, les scolaires français sont ceux qui se sentent le moins bien à l’école par rapport aux élèves des autres pays européens, ce qui témoigne de l’environnement anxiogène qui, en se distribuant, peut induire des conséquences pathologiques sur certains enfants », a-t-il estimé.

Par ailleurs, « les compétences psycho-sociales représentent un élément tout à fait décisif du développement de l’enfant dans l’enseignement primaire », a-t-il jugé.

« Penser le lien entre PMI [protection maternelle infantile]-crèche-maternelle et la pédopsychiatrie représentent, pour notre conseil […], deux chantiers prioritaires. Ce n’est qu’en associant l’ensemble du système professionnel à cette démarche, au sein de cette commission, qu’on parviendra à des résultats probants », a-t-il insisté.

« Ni moyens ni budget »

Interrogé par le rapporteur de la mission sur la manière dont le conseil allait pouvoir assumer « sa fonction de contrôle de l’action publique », Alain Ehrenberg a estimé que « nous devons à la fois nous assurer que l’action publique est bien conduite à moyen terme et assumer des fonctions de court terme qui risquent d’emboliser notre première tâche »…

« Nous n’avons ni moyens ni budget », a-t-il rappelé. « Nous ne pouvons enquêter et nos trois commissions, ainsi que notre groupe de travail consacré à la prévention du suicide, ne disposent que de l’appui administratif des directions d’administration centrale », a-t-il précisé.

« Nous procéderons par auditions, sauf si les choses évoluent au cours de la mandature. Notre place est à prendre puisque, dans le même temps, ont été instaurés le comité de pilotage de la psychiatrie [cf APM VL4OK8IHH] et le comité de pilotage du handicap psychique [cf APM VL7OILAVW] », a-t-il souligné.

Le président du conseil a également précisé avoir « nommé » Marine Boisson-Cohen, experte référente et adjointe au directeur du département société et politiques sociales de France Stratégie, pour « aider à organiser la discussion et faire apparaître des lignes de convergence ».

Il a expliqué aussi avoir proposé « que soit constitué un groupe consacré à l’intelligence collective ». « Derrière cet enjeu de l’intelligence collective […], se trouve celui de l’évaluation. Le rapport Laforcade [cf APM MH7OIJMO1 et APM VL5OF1A0M] recense une multitude d’initiatives individuelles à l’origine d’innovations dont certaines mériteraient d’être généralisées », a-t-il assuré.

Il a également annoncé que le programme de l’instance « pour les deux prochaines années de mandature, devrait être finalisé en juin ».

Interrogé sur la prise en compte de l’autisme dans les travaux du conseil, il a expliqué qu »‘initialement, l’autisme ne devait pas figurer parmi les compétences du conseil. Cependant, la feuille de route […] comprend des éléments de contexte qui listent les troubles mentaux les plus répandus, dont l’autisme ».

« C’est là un point symptomatique des difficultés et des confusions auxquelles il nous faut faire face. Je dois ainsi rencontrer trois associations de familles et deux associations de personnes avec autisme, le [lundi] 20 février prochain, afin d’évaluer les modalités de leur éventuelle collaboration avec le conseil », a-t-il annoncé.

« Je suis ouvert à toute perspective », a-t-il assuré.