Société de l'Information Psychiatrique

Soins sans consentement: le nombre de patients a augmenté de plus de 15% en quatre ans (mission d’évaluation de l’Assemblée nationale)

PARIS, 15 février 2017 (APMnews) – La mission de l’Assemblée nationale d’évaluation de la loi de 2013 sur les soins psychiatriques sans consentement s’interroge, dans son rapport rendu public mercredi, sur les raisons de la hausse de plus de 15%, entre 2012 et 2015, du nombre de patients psychiatriques suivis dans ce cadre.

Cette mission a été lancée début janvier à l’Assemblée nationale afin d’évaluer la loi du 27 septembre 2013 modifiant des dispositions de la loi du 5 juillet 2011 sur les droits et la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et les modalités de leur prise en charge (cf APM MH7OJD3NC).

Les deux députés rapporteurs sont Denis Jacquat (Les Républicains, Moselle) et Denys Robiliard (socialiste, Loir-et-Cher), auteur de la loi de 2013 et du rapport, publié en 2013 aussi, de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie (cf APM MHQLH002APM VLQLH003APM MHQLH003 et APM VLQLH004).

Dans leur rapport de 168 pages (annexes comprises), les deux députés écrivent « qu’un peu plus de trois ans » après l’adoption de la loi, « il était nécessaire d’évaluer l’application de ces différentes mesures ».

« Au cours du mois dont elle disposait pour mener ses travaux, la mission a réalisé plus d’une quinzaine d’auditions et de tables rondes ainsi que deux déplacements: l’un à l’hôpital Sainte-Anne [Paris] et à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris [IPPP], l’autre à l’hôpital de Meaux [Seine-et-Marne] », précisent-ils.

Dans leur introduction, ils expliquent qu’ils se sont interrogés « sur la progression significative du nombre de patients suivis en soins sans consentement depuis 2012 ».

76.000 patients étaient suivis en soins sans consentement en 2010, 79.000 en 2012, et 92.000 en 2015. « Le ministère des affaires sociales et de la santé a ainsi indiqué aux rapporteurs qu’entre 2012 et 2015, ‘le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une mesure de soins sans consentement a augmenté plus que la file active totale des personnes suivies en psychiatrie' », relatent-ils.

Le nombre de patients suivis en soins sans consentement a en effet augmenté, entre 2012 et 2015, de 15,9%, quand la file active des patients de plus de 16 ans suivis en psychiatrie (1,7 million en 2015) croissait de 4,9% pendant la même période.

« Cette augmentation serait principalement due à un ‘effet stock’ des patients dont la prise en charge au titre des programmes de soins excède une année. En 2015, on estime à près de 37.000 le nombre personnes ayant fait l’objet d’une prise en charge dans le cadre ambulatoire, soit 40% du nombre total de personnes en soins sans consentement », écrivent-ils.

Mieux documenter le recours aux différentes formes de prise en charge

Comme les députés le rappellent, « la loi du 5 juillet 2011 a considérablement remanié le régime des soins psychiatriques sous contrainte. Auparavant appréhendés sous la seule forme de l’hospitalisation complète -la fameuse hospitalisation d’office- les soins sans consentement couvrent aujourd’hui une variété de modes de prise en charge ».

L’augmentation « significative » du nombre de patients en soins sans consentement met ainsi en lumière, selon eux, « l’accès élargi des patients à une gamme de soins plus variée que la seule hospitalisation complète ne peut à elle seule offrir ». « Elle autorise une désinstitutionalisation de la psychiatrie en accordant une prise en charge des patients hors les murs de l’hôpital, y compris pour les troubles sévères. Ainsi, plus de 60% des personnes suivant un programme de soins souffrent de troubles psychotiques », rapportent-ils.

Mais, « parallèlement », la mission relève aussi une hausse de la durée du programme de soins, ainsi que de la durée moyenne d’hospitalisation. « Dans ce dernier cas, le constat infirme les premières conclusions issues des premiers résultats d’application de la loi du 5 juillet 2011 », remarquent-ils.

« S’il est encore tôt pour douter de l’efficacité des programmes de soins sur l’amélioration de l’état de santé des patients, il importe de davantage documenter le recours à ces formes de prise en charge », estiment les rapporteurs, qui appellent à « faire évoluer les systèmes d’information hospitaliers pour déterminer si la durée moyenne d’hospitalisation résulte plus d’une stratégie de soins (hospitalisation séquentielle) que d’un arrêt du programme de soins commandé par une rechute du patient (‘ré-hospitalisations’) ».

Ils préconisent plus précisément d' »identifier dans le cadre du RIM-P [recueil d’informations médicalisées en psychiatrie] le début et la fin d’un programme de soins » (recommandation n°3 sur 15). Ils souhaitent aussi que soit mise en place « une étude portant sur le recours aux programmes de soins et l’efficacité de cette prise en charge » (recommandation n°4).

Car ils appellent à la prudence sur les chiffres dont ils disposent. Reprenant des propos du ministère des affaires sociales et de la santé, ils indiquent ainsi que « la mise en place des programmes de soins et leur développement ne sauraient expliquer à eux seuls l’augmentation du nombre de personnes en soins sans consentement, même si la prolongation de la prise en charge après la période d’hospitalisation y contribue ».

Ils insistent aussi sur un paradoxe: « La prise en charge dans le cadre ambulatoire aurait dû correspondre à une diminution des épisodes d’hospitalisation. Or, on constate au contraire une augmentation de la durée moyenne d’hospitalisation pour les patients faisant l’objet d’un suivi ambulatoire dans le cadre des soins sans consentement. » En 2015, la durée moyenne d’hospitalisation s’élevait pour ces patients en ambulatoire à 61 jours, contre 45 jours pour les autres patients en soins sans consentement, et 50 jours pour la file active totale.

La nécessité d’une étude sur les variations territoriales

Les deux députés jugent « plus qu’opportun » de mener une étude nationale « sur les facteurs explicatifs des variations territoriales observées dans le recours aux programmes de soins sur un échantillon représentatif des personnes admises en soins sans consentement ».

Ils pointent à plusieurs reprises l' »hétérogénéité d’application selon les territoires dont les raisons mériteraient d’être creusées », soulignant que « les données statistiques se caractérisent […] par une certaine incomplétude ».

Ils préconisent donc (recommandation n°1) d' »engager une recherche permettant d’identifier les variables territoriales de recours aux soins sans consentement ».

Selon eux, « les informations collectées par les commissions départementales de suivi psychiatrique pourraient être mises à profit et permettraient de revitaliser des structures dont les travaux sont insuffisamment exploités et mis en valeur ».

D’où leur recommandation n°5, qui vise à « redynamiser les commissions départementales de suivi psychiatrique par le contrôle de la situation des personnes faisant l’objet de programmes de soins d’une durée supérieure à un an [et] l’exploitation des données statistiques portant sur les programmes de soins » (cf APM MH5OLET7L).

Une surreprésentation des troubles psychotiques

Les rapporteurs observent par ailleurs « une stabilité de la répartition des modes d’admission depuis l’application de réforme de 2011 » avec « environ huit patients sur 10 » admis sur décision d’un directement d’établissement à la demande d’un tiers et 18% des patients relevant d’une admission sur décision du préfet. Mais ils s’inquiètent d’une « banalisation » du recours aux procédures d’urgence (cf APM VL5OLDEFG)

La mission souligne aussi que « le profil type des patients n’a pas été modifié avec l’entrée en vigueur de la réforme de 2011 ». « Il s’agit d’une population essentiellement masculine (60%), âgée en moyenne d’une quarantaine d’années et souffrant de troubles psychiatriques sévères ».

Elle note « une surreprésentation des troubles psychotiques (50% des patients) au regard de la file active de patients suivis en psychiatrie au sein des établissements de santé (11% des patients) ».

Dans leur rapport, les députés se penchent également plus précisément sur les droits des patients (cf APM MH8OLDHHE).Soins