Société de l'Information Psychiatrique

Par lettre de mission du 9 novembre 2004, le ministre de la santé et de la protection sociale ainsi que le garde des sceaux, ministre de la justice, ont chargé l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des services judiciaires d’étudier les principes pouvant guider la réforme de la Loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation.

Cette mission a été initiée dans un contexte caractérisé par la progression du nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte, et le recours toujours plus important aux procédures d’urgence. Elle était également liée à l’inquiétude exprimée par les directeurs d’hôpitaux et les équipes médicales à la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 décembre 2003.

Afin d’établir son constat la mission s’est entretenue avec les rédacteurs des rapports ayant déjà conduit, dans les années récentes, une réflexion sur les problèmes de santé mentale ainsi qu’avec les responsables de l’administration centrale des ministères de la santé et de la justice, les professionnels de la santé et leurs représentants syndicaux, des magistrats et des scientifiques faisant autorité sur ce sujet. Elle s’est rendue dans quetre départements afin d’étudier le fonctionnement concret du dispositif prévu par la Loi et y a systématiquement rencontré les autorités judiciaires et administratives, les équipes médicales hospitalières et les médecins libéraux, ainsi que les directeurs d’hôpital. Elle a également eu des entretiens avec les membres des différentes commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP), le plus souvent possible en formation plénière. elle s’est également déplacée pour connaître le fonctionnement de dispositifs innovants dans le domaine des interventions à domicile, de la prise en charge des malades alcooliques, de l’organisation des urgences des établissements hospitaliers spécialisés. Enfin elle s’est rendue à la maison d’arrêt de Fleury Mérogis pour visiter plus particulièrement son service médico-psychologique régional.

A la requête des deux inspections, une enquête a été réalisée à partir des données issues de la base PMSI des hôpitaux psychiatriques, avec le concours du groupement français d’épidémiologie psychiatrique.

– Dans une première partie, le rapport rappelle le cadre juridique et les évolutions statistiques les plus notables

Le dispositif législatif actuel reconnaît au malade mental hospitalisé sans son consentement les mêmes droits que ceux reconnus à tout patient. Les restrictions apportées à l’exercice des libertés individuelles sont limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en oeuvre de son traitement. Deux modes d’hospitalisation sont définis par la Loi : l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) arrêtée par le directeur de l’hôpital au vu de deux certificats médicaux, et l’hospitalisation d’office (HO) arrêtée par le préfet au vu d’un certificat médical. Dans les deux cas des procédures d’urgence existent. Des dispositifs de contrôle et de recours sont définis par la Loi (CDHP, contrôle des autorités administratives et judiciaires).

En ce qui concerne les données statistiques, le nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte a presque doublé depuis 1990. En 2001, selon les chiffres les plus récents, Il était de 72 519 (86 % étaient en HDT). Cependant, au sein du chiffre total des hospitalisations en psychiatrie, la part prise par les HDT et les HO n’a que très peu progressé en 15 ans. Elle est passée de 11 à 13 %.

La situation est très contrastée entre les départements. toujours en 2001, le nombre des hospitalisations sous contrainte rapporté au total des hospitalisations en psychiatrie variait selon les départements entre 4 % et 35 %. Par ailleurs, les mesures d’urgence prenne une place de plus en plus importante dans les procédures mises en oeuvre.

Pour rendre compte de l’ensemble de ces constats, plusieurs explications peuvent être avancées, tenant notamment à l’évolution des pratiques, aux difficultés actuelles d’organisation et de fonctionnement de la psychiatrie, à la morbidité.

– Dans la deuxième partie du rapport, les deux inspections analysent les forces et les faiblesses des deux dispositifs d’hospitalisation sous contrainte

S’agissant des forces, la loi du 27 juin 1990 a su renouveler l’équilibre posé par la Loi du 30 juin 1838. elle a ccompagné l’évolution institutionnelle de la psychiatrie et celle des pratiques thérapeutiques et s’est inscrite dans le cadre défini par la Recommandation R 83 du 22 février 1983 du Conseil de l’Europe sur le statut juridique des personnes atteintes de troubles mentaux. Tout en conservant l’architecture générale du dispositif de la loi du 30 juin 1938, le législateur de 1990 a entendu consacrer l’hospitalisation libre, définir les droits et libertés des malades, renforcer les contrôles, en particulier par la création de commissions originales aux compétences étendues, les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques. Largement inspiré du souci de faciliter l’accès aux soins, il a aussi cherché à favoriser la réadaptation des patients notamment en légalisant la pratique des sorties d’essai. Enfin, le dispositif intègre la nécessité de garantir la sûreté des personnes.

S’agissant des faiblesses , elles sont de trois ordres :

– la réponse sanitaire, souvent mal adaptée, freine l’accès aux soins : le tiers, maillon essentiel de l’HDT, est souvent difficile à identifier ou à convaincre d’aller jusqu’au bout de la démarche en signant une demande formelle d’hospitalisation du patient ; les familles et les équipes médicales sont bien dans bien des cas démunies pour conduire la personne à l’hôpital, faute notamment d’une organisation cohérente des transports sanitaires ; la prise en charge de la crise est d’autant plus difficile que les dispositifs de prévention n’ont pas toute la part qui devrait leur revenir et que les alternatives à l’hospitalisation connaissent un développement insuffisant : les interventions des secteurs à domicile, l’accompagnement et le soutien des familles, le dépistage précoce des situaitons à risque, les actions dans la communauté, une meilleure réinsertion des malades, peuvent certainement installer un contexte rendant moins nécessaire la contrainte, ou capable d’en atténuer le traumatisme.

La prise en charge hospitalière de ces malades ne se réalise pas toujours dans des conditions satisfaisantes du fait du mélange fréquent des pathologies et de l’inadaptation des locaux à la coexistence de malades en hospitalisation libre et en hospitalisation sous contrainte. Les sorties d’essai continuent, parfois pendant des années, à se définir par rapport à une hospitalisation initiale qui n’a plus rien à voir avec le maintien d’une contrainte en ambulatoire. En outre, ces malades et leur famille n’ont pas le libre choix de l’équipe médicale.

– Les garanties reconnues aux personnes atteintes de troubles mentaux ont une effectivité relative : les magistrats chargés, par la Loi, d’opérer les contrôles des conditions d’hospitalisation paraissent insuffisamment impliqués ; ils devraient être sensibilisés à l’importance d’échanger leurs informations et de coordonner leurs actions. Le rôle des magistrats chargés de statuer sur les demandes de levée des mesures de contrainte est mal connu ; le nombre de recours formés devant eux et minime. Enfin, les commissions départementales des hospitalisations psychiatriques qui ont la lourde responsabilité d’examiner la situation des personnes hospitalisées sous contrainte et d’établir un bilan annuel de leurs constats, paraissent bien trop effacées.

L’information délivrée aux malades sur leurs droits et leurs possibilités de recours est souvent insuffisante. Les contrôles exercés sont dispersés et souvent formels. Le cadre procédural est flou.

– L’efficacité du dispositif pourrait également être améliorée dans le domaine de la sûreté des personnes : ainsi les fugues des malades hospitalisés sous contrainte sont-elles souvent laissées sans suite : la procédure de délivrance des autorisations de détention d’armes devrait être renforcée.

– Les propositions qui figurent la troisième partie du rapport s’inscrivent dans la structure juridique de la Loi de 1990 tout en la réformant profondément

Malgré la forte attente d’une réforme radicale, souvent évoquée par ses interlocuteurs, la mission propose de maintenir l’architecture actuelle de la Loi du 27 juin 1990, les dysfonctionnements constatés tenant généralement davantage aux conditions de la mise en oeuvre du texte qu’à l’équilibre global qu’il définit, mais préconise une profonde modernisation des différentes procédures, dont l’économie générale est ici décrite. Trois principes directeurs ont guidé sa réflexion :
– rouage essentiel du dispositif de garantie des droits et libertés, le juge doit voir renforcer son rôle de contrôle a posteriori ;
– le maintien de la dualité des procédures d’office et à la demande d’un tiers paraît plus respectueux de la réalité des situations dans lesquelles se trouvent les malades qu’une procédure unifiée, à condition toutefois que les modalités de recours au tiers soient adaptées ;
– dissocier l’obligation de soins de la modalité de soin est en cohérence avec l’évolution des possibilités de prise en charge en psychiatrie.

Les propositions de la mission déclinent, chacune en ce qui les concerne, ces trois principes.

S’agissant des garanties des droits et libertés , il conviendrait de rendre plus effectif le contrôle a posteriori du juge de libertés et de la détention, notamment en enserrant la procédure dans des conditions de forme et de délais plus précises et plus contraignantes : ainsi un délai impératif devrait-il être donné au juge des libertés et de la détention pour statuer sur le recours en levée de la mesure. Il conviendrait également de conférer à la CDHP un statut renforcé à travers, notamment, la nomination à sa tête d’un magistrat pour lui permettre d’assurer en toute indépendance sa mission de contrôle, la modification de sa composition pour y inclure un avocat et pour favoriser un meilleur ancrage judiciaire, l’adaptation de son ressort territorial qui ne serait plus le département mais le ressort du TGI. En revanche, il n’est pas apparu possible de confier au juge la responsabilité de décider a priori de l’hospitalisaton sous contrainte d’un patient, en raison essentiellement de la lourdeur qui s’attacherait à la mise en oeuvre du principe du contradictoire inhérent à la procédure judiciaire et constituerait un obstacle à la rapidité d’accès aux soins.

Afin de respecter les prescriptions de la Recommandation R (2004) 10 du Conseil de l’Europe, il conviendrait également de « protocoliser » la décision d’obliger le malade à se soigner. La personne concernée par une mesure de contrainte devrait donc être entendue par l’autorité habilitée à prendre la décision. L’admission en HDT mériterait d’être formalisée par un document écrit.

La visite des établissements de santé devrait relever du Procureur de la République et du Préfet, afin d’assurer une meilleure effectivité des contrôles empêchée aujourd’hui par la dilution des responsabilités. Certaines de ces visites devraient être inopinées.

S’agissant du maintien de la dualité des deux procédures de soins contraints , à la demande d’un tiers et d’office, la mission note que l’unification des deux procédures ne pourrait se faire que sous l’égide du Préfet. Mais ceci exclurait le tiers et donc la famille de la procédure, au moment où il semble important d’affirmer des solidarités d’ordre privé et où les alternatives à l’hospitalisation, unanimement recommandées, reposent en grande partie sur le proche environnement du patient. Le tiers est aussi celui qui peut garantir que l’hospitalisation sous contrainte se déroule dans le respect des droits et libertés du patient.

La définition du tiers telle qu’elle résulte de l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 décembre 2003 n’est pas remise en question par les propositions des deux inspections mais elle doit être complétée pour prévoir toutes les situations dans lesquelles le directeur de l’hôpital peut se trouver dans la gestion d’une crise. La Loi pourrait inclure un mécanisme spécifique destiné à pallier à l’absence du tiers ou à faire face à sa réticence à s’engager dans une procédure que le patient pourrait vivre douloureusement : dans ce cas, le directeur de l’hôpital, en possession du certificat médical, prononcerait l’admission du patient, à titre conservatoire, et présenterait au Procureur de la République, dans un délai contraint et par tous les moyens, une demande motivée tendant à la désignation, dans les vingt quatre heures , d’un curateur à la personne : celui-ci serait investi des pouvoirs de saisir, le cas échéant, le juge des libertés et de la détention, et chargé de veiller, d’une manière générale, au respect des droits et libertés du patient.

S’agissant des modalités de soins sous contrainte

, la mission recommande de passer du régime de l’hospitalisation sou contrainte à celui du soin sous contrainte afin de dissocier l’obligation de se soigner de ses modalités, hospitalisation ou alternatives à l’hospitalisation. Cette propositions, qui concerne tant l’HO que l’HDT, vise à faciliter l’accès à toutes les solutions thérapeutiques pour les adapter à la situation du malade et faciliter le consentement de ce dernier. De la même manière, le tiers pourrait être rassuré de n’avoir à se prononcer que sur la nécessité du soin plutôt que sur celle de l’hospitalisation. Il reviendrait dès lors au médecin, grâce à cette clarification, de choisir la modalité de soin la plus adaptée, conformément à sa mission naturelle. Dans le cadre de cette réforme, la mission insiste sur la nécessité de transposer à ce nouveau mode d’exercice de la contrainte, l’ensemble des droits et libertés reconnus aujourd’hui au malade hospitalisé sous contrainte. Ces droits et libertés, qui pourraient paraître menacés par l’extension de cette contrainte en dehors des murs de l’hôpital, justifient dès lors pleinement le renforcement des pouvoirs de contrôle du juge et de la CDHP décrit plus haut.

Il conviendrait également de créer les conditions d’une prise en charge de courte durée de 72 heures au plus. Un seul certificat médical devrait être suffisant pour prononcer une obligation de soins. En revanche, l’instauration d’un certificat dans les 72 heures inciterait les secteurs de psychiatrie à organiser une phase d’observation, de traitement et d’orientation, capable de faciliter la recherche du consentement, de limiter les durées d’hospitalisation, et d’adapter au mieux la prise en charge nécessaire à l’état du malade.

La mission recommande une meilleure gestion de la crise et du transport des malades, grâce à un protocole départemental définissant les modalités d’implication des différents services concernés (Préfet-DDASS, professionnels libéraux, secteurs, SAMU-SMUR, ambulanciers privés, services de police, pompiers).

Mieux prendre en compte les impératifs de sécurité passe par :
– la définition d’une conduite à tenir, pur l’organisation du transport d’un malade, en cas de non respect par celui-ci de son obligations de soins ;
– la déclinaison d’une politique de santé mentale dans toutes ses dimensions touchant à la prévention, à la gestion de l’urgence, à l’organisation des soins, à la réinsertion et à la réadaptation.

Enfin, la mission préconise de renforcer le pilotage de la politique menée à l’égard des malades mentaux refusant les soins. Cela exigerait de développer les études épidémiologiques, la recherche clinique. La situation des personnes en obligation de soins et les modalités de prise en charge devraient faire l’objet d’un examen périodique au sein du conseil régional de santé mentale.