La loi hospitalière HPST, validée après recours parlementaire au conseil constitutionnel, a été adoptée le 21 juillet 2009 dans le cadre de la procédure d’urgence et d’examen parlementaire de l’Assemblée Nationale, du Sénat puis de la Commission Mixte Paritaire.
Au-delà des débats, autour de nombreux amendements, l’essentiel du projet de loi souhaité par la Présidence de la République a été respecté.
Antérieurement, le rapport Larcher, et des interventions de l’exécutif avaient annoncé l’imminence de la réforme hospitalière. Ce dans un contexte très difficile de déficit majeur des finances publiques, déficit décrit comme abyssal de la Sécurité Sociale mais aussi le désir affirmé de l’utilisation optimum des ressources institutionnelles sur fond de libéralisme économique.
Les approches de cette loi ne sauraient faire oublier la continuité existant depuis l’ordonnance Juppé de 1996, continuité assurée au-delà de l’alternance politique et dans une constante recherche de maîtrise comptable des dépenses.
Cela s’inscrit aussi dans un renforcement caractérisé du rôle de l’exécutif, de plus en plus prégnant, avec des décisions de plus en plus centralisées autour du palais de l’Elysée et dans le rejet ambigu du service public, présenté comme désuet, dépassé et devant être modernisés en conservant officiellement ses valeurs fondamentales mais en les amputant de leur capacité fonctionnelle.
C’est ainsi que la présidence de la république avait pu préalablement orienter les perspectives de l’hôpital public vers la superposition ou la complémentarité de pôles d’excellence. L’accueil des urgences, l’orientation vers les personnes âgées et les handicapés…
Les plateaux techniques du secteur privé et libéral étant valorisés et devant être chargés d’une mission de service public.
Toutes options préalablement préparées par la très contestée mise en place de la T2A.
Le renforcement de l’exécutif s’appuie sur une démarche descendante avec, sur propositions du gouvernement, reprises par le parlement, d’un plan de financement de la sécurité sociale annuelle fixant les orientations et dépenses de l’année.
La déclinaison s’effectue ensuite au niveau des différentes régions en respectant les priorités nationales et régionales politiquement préalablement définies. L’exécutif régional évolutif, passant du stade de l’ARH à celui de l’ARS va regrouper les compétences des différentes DDASS, DRASS, structures médico-sociales, et partiellement de la CRAM… Le directeur général de l’ARS sera nommé en conseil des ministres et disposera de pouvoirs conséquents.
Assisté de conférences et commissions, le directeur de l’ARS ne rencontrera pas de vrai contre pouvoir et à l’instar de ce qui se passe aux USA, sera dans une optique politiquement définie avec dépendance vis-à-vis du gouvernement.
Cette quête du renforcement de l’exécutif concerne en cascade les établissements hospitaliers publics puisque les conseils d’administration vont s’effacer dans l’essentiel de leur pouvoir délibératif, remplacés par des conseils de surveillance à dominante consultative.
Le renforcement du rôle de la direction des établissements hospitaliers publics est fortement signifié au niveau de la loi malgré quelques amendements visant à donner des avis consultatifs au président de CME, parfois de la CME.
Le directeur d’établissement, ordonnateur des dépenses et recettes de l’établissement concentre les pouvoirs hospitaliers sur la préparation du budget, la mise en place des projets des CPOM, sur la nomination des directeurs adjoints et des praticiens hospitaliers.
Au-delà de la présentation prudente et polie d’avis sollicités sans que revienne la notion d’avis conforme, le directeur va disposer de l’ensemble des pouvoirs entre ses mains et affecter aux différentes unités de soins les moyens lui apparaissant adaptés.
Cette situation sera d’autant plus facilitée qu’il nommera les chefs de pôle, garants de l’application des orientations de l’établissement, de la mise en place des projets et qu’il fera la proposition de nomination des praticiens hospitaliers au centre national de gestion, sur propositions de chef de pôle et du président de CME.
De fait, le président de CME vise devenir le bras droit du directeur inféodé à ces orientations et l’on ne perçoit pas véritablement une capacité de contre pouvoir à la prégnance de l’exécutif hospitalier local.
Le directeur se trouve lui-même dans une position de dépendance vis-à-vis de l’ARS qui peut lui imposer en cas de contentieux un plan de redressement, le remplacer temporairement par un administrateur provisoire et utiliser des pressions diverses sur les dotations de financement en cas d’insatisfaction de la tutelle…
Outre le pouvoir de nomination sur les PH, le directeur a aussi le pouvoir de mise en recherche d’affectation pour les praticiens dont l’activité professionnelle n’apparaît pas compatible avec objectifs et restructuration locaux…
Les incidences statutaires
Deux axes essentiels se dessinent pour les médecins des hôpitaux publics : contraintes et intéressement.
Comme toutes les professions de santé, l’obligation de formation professionnelle, d’EPP coexistent avec les procédures de certification, de réévaluation des connaissances et pratiques…
Au-delà de ces contraintes partagées, les praticiens hospitaliers dans la loi HPST voient se dessiner les contraintes financières avec notamment des sanctions si les praticiens ne fournissent pas les données informatiques nécessaires vis-à-vis des activités de leurs structures de soins ou sur la disponibilité des lits dans leurs services.
Il s’agit là incontestablement d’empêcher l’exercice de certaines modalités de grève, d’opposition ou de revendications tout en soulignant l’importance de ces indicateurs dans le financement des activités de soins.
Ces assujettissements se manifestent aussi par les nominations des praticiens hospitaliers, ou recherche de mise en position d’affectation et plus globalement avec les CPOM et contrats de pôle ou la recherche d’engagement contractualisé personnel est évidente.
Une individualisation des carrières se manifeste de plus en plus avec l’ouverture sur l’intéressement personnel ou collectif des hospitaliers mais aussi avec la multiplicité des différentes primes, indemnités, constituant à la fois des avancées et des menaces par rapport au statut unique.
On peut craindre que secondairement le statut unique ne connaisse qu’une portion congrue et que l’essentiel des rémunérations passe par les individualisations de carrière et intéressement individuel.
Ce qui ne semblerait pas illogique dans un pays où les magistrats théoriquement indépendants se voient attribuer des primes en fonction de leur notation… On s’éloigne, notamment pour les psychiatres de la nomination ministérielle, obtenue après une inscription sur une liste d’aptitude après concours avec au départ épreuves écrites anonymes.
La nécessaire indépendance professionnelle médicale, position d’expert vis-à-vis de la loi de 1838 ou 1990 pour les psychiatres.
Les carrières hospitalières proposées, géographiquement ou fonctionnellement recherchées se baseront sur la cooptation, l’interne coopté devenant assistant puis praticien hospitalier proposé par le chef de pôle et nommé in fine par le directeur.
L’histoire s’accélère, les liens de dépendance se renforcent et le concept de fusible prédomine.
Cette dimension qualitative ne saurait faire oublier la dégradation constante de l’attractivité statutaire. Nos études ont relevé sur quelques décennies que plus de 25 % de perte de pouvoir d’achat des praticiens hospitaliers à francs, euros et échelons constants s’est opéré.
L’allongement de la durée de carrière, l’accès plus difficile aux derniers échelons renforce encore ces insuffisances statutaires mais ne sauraient faire oublier les graves lacunes statutaires existants notamment vis-à-vis de la protection sociale, des retraites.
Malheur au collègue qui après maladie ne peut bénéficier, s’il n’a eu le réflexe d’adhérer à une de nos mutuelles, qu’aux seules indemnités de la sécurité sociale.
Il n’existe pas de contrat de protection collective statutaire pour les agents permanents titulaires de la fonction publique hospitalière que nous sommes.
L’accès aux droits à la retraite se trouve lui davantage menacé car depuis trois années les différentes réunions sur fond de menace gouvernementale n’ont induit que la hausse des cotisations retraite, la diminution du nombre de points IRCANTEC par exemple et l’affaiblissement prévisible du taux de remplacement déjà en général inférieur à 60 % pour les années à venir.
Dans ce domaine, tout ce qui nous a été fait miroité comme prise en compte des différentes indemnités, mise en place d’une éventuelle échelle spécifique pour les praticiens hospitaliers, compensation des handicaps des praticiens hospitaliers à temps partiel, n’a pas été suivi d’effet et de De Villepin à Fillon, les décisions sont différées, occultées et on nous annonce moult difficultés pour les années qui viennent avec une nouvelle grande réforme des retraites .
Nombre de nos collègues mères de famille aspirant à une retraite décente sans taux de minoration à 60 ans, se doivent de perdre leurs illusions, l’accès à la retraite demeurera théoriquement possible mais avec quel taux de remplacement ?
Outre ces éléments essentiels, les différents droits professionnels comme la formation continue bénéficient de potentiel de contrainte mais pas véritablement de prise en compte.
Au total, population professionnelle sacrificielle avec peut être pour les zones médicalement désertifiées, l’utilisation du statut de clinicien hospitalier pour attirer quelques collègues et plus sûrement les menaces de fuite dans le secteur privé et libéral avec régression des activités hospitalières publiques, utilisation maxima de la compétence des médecins à diplôme étranger…
L’investissement statutaire des praticiens hospitaliers par les pouvoirs publics semble parallèle à la crédibilité apportée au service public hospitalier verbalement soutenu, encouragé, reconnu et dans la réalité condamné dans un grand écart idéo-praxie spécifique faisant revenir l’hôpital public aux données historiques bien antérieures à l’ordonnance Debré de 1958 et aux textes qui ont succédé…
Là encore, la quête symbolique de l’American way of life adoptée à la sauce locale prévaut (47 millions de citoyens américains n’ont pas accès aux soins médicaux).
La genèse de la situation actuelle est difficile à reconstituer.
On note certes une absence de continuité voire même de politique de santé depuis la libération et les grandes avancées de l’époque.
L’embellie des trente glorieuses a favorisé le développement de la solidarité sociale, de la protection sociale de l’assurance maladie.
Peut-être le ver était-il dans le fruit pour ce qui concerne l’hôpital public antérieurement hôpital hospice recevant la population plus nécessiteuse, réservant l’accès aux cliniques privées et aux soins libéraux aux couches moyennes ou aisées de la population.
On ne saurait faire l’impasse sur l’apport considérable des hôpitaux publics depuis un demi- siècle dans les soins apportés à la population et la relation directe avec l’augmentation de l’espérance de vie, (coexistant bien entendu avec d’autres facteurs).
Mais depuis plusieurs années, la notion de déficit des finances politiques, d’incapacité à assumer les dépenses de santé, ponctuées par de nombreuses mesures de replâtrage ou d’injustice sociale depuis les ordonnances Juppé font prévaloir la maîtrise comptable des dépenses.
Il y a là pour ce qui concerne l’hôpital public, rupture quasi-totale avec la logique antérieure.
Ainsi dans nombre de collectivités locales, l’hôpital public est le premier employeur local et lors de la préparation de la loi de réforme hospitalière de 1970, le président Pompidou avait émis son souhait de ne pas voir les maires des communes devenir présidents des conseils d’administrations des centres hospitaliers généraux, a vu sa position invalidée par le Sénat.
L’hôpital public a souvent eu fonction de résorption du chômage et l’on peut penser qu’il vaut mieux un emploi conceptuellement moins nécessaire qu’une situation de chômeur.
Le discours a changé mais les réalités locales demeurent et se sont accompagnées d’un processus d’impérialisme administratif se manifestant dans tous domaines, évolution que les professionnels de terrain de la santé n’ont jamais su dénoncer.
Ainsi depuis les années 90 dans nombre d’établissements hospitaliers, le développement proportionnel le plus important des d’emplois concerne le personnel administratif, les services généraux et le personnel dévolu à l’informatique.
Cela accroît bien entendu le coût, l’importance des dépenses mais aussi renforce l’inféodation des soignants en général, des médecins en particulier à ce cadre de plus en plus étouffant.
Difficile d’analyser l’attitude globale soumise, passive, de la profession médicale dans ses différentes composantes, au-delà de quelques réactions manifestes voire d’implication plus déterminée de catégories professionnelles comme les psychiatres hospitaliers, urgentistes ou anesthésistes hospitaliers…
L’individualisme de la formation médicale, la non formation aux dimensions institutionnelles et managériales, un contexte sociétal pesant et un fatalisme accompagnant les mutations sociologiques globales peuvent être retenus.
Il convient aussi de ne pas sous estimer l’importance du contexte socio-économique de la santé reconnue comme un marché, où certains ont osé parler d’hôpital entreprise mais la profession médicale, symboliquement contractante avec la société pour l’accès aux soins dans sa qualification et dans les services rendus n’arrive plus à se situer en position de proposition mais plutôt de réaction à des exigences tutélaires souvent problématiques.
On pourrait éventuellement considérer que cela concerne l’essentiel du fait politique (au sens de gestion des affaires de la cité) mais les faits demeurent et l’inféodation à l’ordre administratif sans qu’un espoir rapide de changement puisse être reconnu.
L’évolution prévisible
Il existe incontestablement une continuité dans l’action politique gouvernementale et parlementaire et il a été annoncé que l’hôpital public devait participer à l’utilisation optimum des ressources existantes dans le champ de la santé, se restructurer et s’orienter sur les pôles d’excellence, les urgences, les personnes âgées et le handicap…
Ce qui a été annoncé vise à se réaliser et tous les indicateurs le relèvent.
Outre les phénomènes de restructuration, nombre de centres hospitaliers généraux, d’hôpitaux psychiatriques voient un tarissement de recrutement de médecins, font appel à des praticiens à diplôme étranger dont les conditions statutaires sont encore moins attractives mais davantage que dans leur pays d’origine.
Des disciplines médicales entières comme la psychiatrie sont menacées dans le cadre de la psychiatrie de secteur, mais nombre de plateaux médico-chirurgicaux connaissent les mêmes menaces et les soins de proximité deviennent aussi une formule incantatoire se confrontant aux réalités économiques et à la volonté politique.
Plus globalement le développement du secteur 2 de la médecine libérale, la sélection des patients à travers leur pathologie, leur dépendance, leur coût et leur financement, réalisent progressivement la constitution d’une médecine à plusieurs vitesses et altèrent la solidarité nationale, l’égalité d’accès aux soins.
Tôt au tard, des HMO se réaliseront avec des mutuelles, des cliniques privées, concernant une population spécifique susceptible de bénéficier de droits élargis aux soins et pour les autres …
Ces graves désorientations s’effectuent sans réaction massive dans un pays conditionné par un régime présidentiel réévaluable tous les 5 ans…
Perte de conscience collective, combat présenté comme d’arrière garde avec le soutien actif des médias, discours lénifiants, poujadistes ou langue de bois (y compris malheureusement de certaines centrales syndicales), position ambigüe des élus locaux départementaux et nationaux pour qui la santé constitue « une patate chaude » et qui ne réagissent que mollement aux orientations en cours.
Malheur encore aux champs sociaux de l’exclusion, que ce soient les détenus ou les patients présentant des troubles psychiatriques dont la prévalence de la surveillance et la crainte de la dangerosité menacent l’accès aux soins diversifiés, articulés.
Pour les patients présentant des troubles psychiatriques, un simple tarissement progressif du recrutement des professionnels renforcera l’hospitalocentrisme et l’exclusion socio-hospitalière de ces personnes.
Perspectives
La recherche constante de contre pouvoir constitue un impératif majeur des temps à venir vis-à-vis du rouleau compressif de l’exécutif, de l’écrasement des concepts antérieurs de solidarité nationale, de protection sociale et collective, d’égalité d’accès aux soins à tous niveaux.
Cela devrait se traduire par des mouvements, oppositions, des propositions avec les décrets d’application de la loi HPST devant fleurir dans les semaines et mois à venir.
Défense de l’attractivité statutaire, défense de l’hôpital public, défense de l’égalité d’accès aux soins, refus de l’inféodation administrative ne sauraient être remis en question.
La défense de l’indépendance technique et professionnelle des médecins des hôpitaux publics doit aussi se manifester à tous les étages du recrutement, de la nomination, du fonctionnement, tentant d’éviter le piège des conflits internes que recèlent les modalités de fonctionnement et de recrutement des praticiens hospitaliers induit par la loi.
L’adage « diviser pour régner » semble sous-jacent mais le meilleur antidote reste et restera la solidarité des différents collègues, des fronts syndicaux intersyndicaux, la cohérence et la défense des acquis fondamentaux.
La sensibilisation, l’information des collègues et la nécessaire quête d’implication doivent prévaloir et il faut que chaque praticien hospitalier se sente personnellement concerné par les réformes en cours, leurs incidences et leur gravité.