PSYCHIATRIE DE SECTEUR A L’HOPITAL GENERAL EN 2010:
UN TOURNANT
La psychiatrie de secteur à l’hôpital général est sans aucun doute à un moment carrefour de son histoire.
Implantée dans les années 1970-1980, ses dispositifs ont rapidement subi le poids de la rigueur économique et les moyens nécessaires à son développement ont été progressivement gelés.
Une recherche récente de l’IRDES publiée en août 2009 sur les inégalités persistantes de moyens et d’organisation de la sectorisation en psychiatrie propose une typologie des secteurs de psychiatrie générale. Elle fait apparaître clairement que les secteurs rattachés aux Centres Hospitaliers Généraux sont parmi les moins bien dotés en France.
A cette sous dotation s’ajoute, de par son implantation à l’hôpital général, une forte mobilisation des personnels, déjà fortement réduits, pour les services d’urgence et les unités de soins somatiques.
Le constat actuel est donc celui d’un véritable phénomène d’inachèvement du développement des dispositifs de secteur à l’Hôpital Général.
Au-delà de cet aspect quantitatif qui instaure de fait des inégalités d’offre de soins aux usagers sur le territoire national, d’autres enjeux apparaissent avec force.
De tout temps, un des enjeux fondamental de l’exercice de la psychiatrie à l’hôpital général a été à la fois de faire reconnaître la psychiatrie comme une discipline médicale parmi d’autres (Médecine – Chirurgie – Obstétrique – Gériatrie) et dans le même temps d’affirmer ses spécificités et les conditions nécessaires à son exercice.
Or, la mise en place de la nouvelle gouvernance et des pôles, la cohabitation de deux systèmes de financement, entre tarification à l’activité (T2A) pour le M.C.O. et dotation annuelle de fonctionnement (D.A.F.) pour la psychiatrie, le poids des Etats Prévisionnels des Recettes et des Dépenses (E.P.R.D.) en particulier dans les établissements souvent déficitaires et les changements du statut de P.H. viennent réinterroger, voire attaquer les spécificités même de la psychiatrie, en l’assimilant au fonctionnement du M.C.O. au sein de certains établissements.
Les modalités de mise en place des pôles à l’hôpital général sont caractéristiques de ces remises en question des spécificités de la psychiatrie : l’ensemble des secteurs de psychiatrie sont regroupés en un seul pôle, ou des pôles mère-enfant englobent les secteurs de pédopsychiatrie, parallèlement à la constitution de pôles de psychiatrie adulte. Le positionnement d’un seul secteur comme pôle reste l’exception.
Au sein des pôles, la phase d’établissement du contrat de pôle apparaît comme essentielle, pouvant être un des outils de défense et de reconnaissance d’une entité médico-économique distincte des autres disciplines, mais sous certaines conditions :
– Mettre en place un budget initial identifié et transparent, en particulier avec l’établissement d’une base fiable des données des personnels (qui représentent en psychiatrie l’essentiel du budget), associé à la mise en place d’une réelle comptabilité analytique.
– Mettre en œuvre un certain nombre de principes de fonctionnement : collégialité, transparence, fongibilité et subsidiarité, pour reconnaître la place de chaque secteur au sein du pôle contre le risque de dissolution de la sectorisation.
– Exiger des délégations effectives spécifiques en matière de gestion des personnels soignants et médicaux, formation, …
– Contractualiser avec les directions hospitalières sur des projets médicaux de psychiatrie adaptés aux besoins évalués de la population du territoire desservi.
Par ailleurs, la psychiatrie à l’hôpital général se retrouve au carrefour de l’évolution des organisations économiques avec la mise en place de la T 2 A en M.C.O. et le poids des E.P.R.D.
L’observation à l’hôpital général des effets depuis 2005 de la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) sur la qualité des soins en MCO associée à la maîtrise des dépenses permet d’alimenter la réflexion pour un autre système de financement pour la psychiatrie.
En tant que mode de financement, la T2A n’a aucune vocation à assurer une couverture optimale des besoins de santé, ni à améliorer la qualité des soins. Son mécanisme est celui d’une maîtrise purement comptable de structuration de l’offre, sans aucune évaluation réelle des besoins de soins. Elle prévoit de fait une baisse des tarifs en cas d’augmentation de l’activité hospitalière globale et non en fonction des évolutions d’activité de chaque établissement.
D’où la possibilité d’un certain nombre d’effets pervers, souvent à l’œuvre :
– demande permanente d’augmentation de l’activité à moyens constants
– stratégies de réduction des coûts : renvoi prématuré de patients au domicile,…
– tentation de sélection de clientèle, contraire à l’éthique du service public.
De fait, la psychiatrie à l’hôpital générale subit à l’heure actuelle les effets de la cohabitation de deux systèmes contradictoires de financement, T2A et DAF.
D’une part, la réforme de la nouvelle gouvernance attribue à chaque établissement la responsabilité de la gestion interne des moyens et il n’existe plus aucune garantie pour que, comme par le passé, les tutelles contrôlent les risques de glissements des budgets de la psychiatrie vers le M.C.O.
D’autre part, sous le poids des E.P.R.D et de la cohabitation de ces deux systèmes de financement, la tentation est grande pour certains établissements de proposer des suppressions ou des gels de postes en psychiatrie puisque les activités psychiatriques n’influent pas sur les recettes, voire même, grèvent les budgets par les coûts des charges indirectes en cas d’augmentation d’activité.
L’épée de Damoclès des E.P.R.D. annuels se révèle particulièrement lourde pour nombre d’Hôpitaux Généraux présentant un déficit budgétaire, avec des exigences fortes des A.R.S. de retour à l’équilibre budgétaire contraint et rapide.
Dans ce contexte, il s’agit dès maintenant d’identifier et de sanctuariser les budgets de la psychiatrie pour que cette discipline n’apparaisse pas comme une simple variable d’ajustement, par pompage des moyens de la psychiatrie, en particulier dans les établissements déficitaires, et qui, en cas de crise économique, se retrouve être quelques soient nos efforts pour en assurer sa crédibilité la cinquième roue du char hospitalier (la roue de secours !).
Quel avenir pour la psychiatrie de secteur à l’Hôpital Général ?
Les difficultés actuelles doivent amener à ce que la psychiatrie devienne une entité médico-administrative distincte des autres disciplines de l’hôpital général comme condition initiale de sa survie et surtout du développement à venir de ses projets et de ses équipements.
Nous proposerons plusieurs axes de travail :
A court terme :
– Renégocier avec les A.R.S. des rebasages budgétaires compte tenu des faibles dotations de certains secteurs à l’hôpital général, avant même la mise en place d’un nouveau système de financement.
– Optimiser comme nous l’avons décrit le fonctionnement des pôles autour de contrats spécifiques pour la psychiatrie.
– Faire reconnaître dès maintenant la spécificité des budgets de la psychiatrie dissociant D.A.F. et T2A.
A moyen terme :
– Elaborer et mettre en place un système de financement (V.A.P.), différent du système de la T2A.
– Proposer dans le cadre de la loi H.P.S.T. une organisation sectorielle territoriale de la psychiatrie à trois niveaux intégrant les dispositifs et les structures sanitaires et médico-sociales, publiques et libérales: sectorielle généraliste, intersectorielle et spécialisée, et suprasectorielle sur des structures régionales.
– S’emparer de la dynamique territoriale de la loi H.P.S.T. pour faire émerger une évaluation des besoins de soins sur le territoire.
– Sanctuariser les budgets de la psychiatrie au sein des territoires de santé mentale intégrant les secteurs par la création d’une entité médico-administrative de type de groupement de coopération sanitaire (G.C.S. établissements).
Nous assistons au sein de l’hôpital général à une évolution forte des disciplines médicales (M.C.O.), en particulier de la gériatrie, vers une modélisation d’organisation des soins proche de celles que la politique de sectorisation psychiatrique a su créer : structures de soins à temps partiel (unité de jour, unité de semaine…), intérêt renouvelé pour les activités de consultations, développement du travail en réseau (réseau ville-hôpital…) associant de multiples partenaires…
Si l’absence d’homogénéité des réalisations des secteurs psychiatriques, qui nous est souvent opposée, est le fait d’une politique inachevée du secteur, la situation actuelle de la psychiatrie à l’hôpital général est l’occasion à la fois de réaffirmer fortement le bien-fondé d’une organisation spécifique pour la psychiatrie et d’innover par de nouvelles déclinaisons au sein du territoire.
Alain POURRAT Octobre 2010
Bibliographie :
1. Cinquante ans de sectorisation psychiatrique en France : des inégalités persistantes de moyens et d’organisation.
M. COLDEFY – P. LE FUR – V. LUCAS-GABRIELLI – J. MOUSQUES
Question d’économie de la Santé – IRDES – n° 145 – Août 2009 –
2. Quel avenir pour la psychiatrie à l’hôpital général ?
G. DUBRET – T. TREMINE
L’information psychiatrique 85 n° 6 – Juin-Juillet 2009 –
3. Principes et enjeux de la tarification à l’activité à l’hôpital (T2A)
Enseignements de la théorie économique et des expériences étrangères.
Z. OR – T. RENAUD – IRDES – 45 pages- Mars 2009 –