Madame la Ministre de la santé
Ministère des affaires sociales et de la santé
14 avenue Duquesne
75350 Paris 07 SP
Hénin-Beaumont, le 7 mars 2016
Madame la Ministre,
La DGOS vient d’annoncer à certaines organisations qu’elle chargeait les ARS d’inspecter les Hôpitaux de Jour de psychiatrie infanto-juvénile pour y vérifier le respect des recommandations de bonnes pratiques (RBP) dans le cadre du 3e plan autisme.
Si le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux reconnaît qu’il est légitime de se soucier de la qualité générale des prises en charge et du bon usage des fonds publics, il est cependant profondément surpris par la forme donnée à cette vérification.
– Les Hôpitaux de jour sont déjà engagés dans les démarches réglementaires de certification et d’évaluation, tandis que leurs équipes sont investies dans la formation continue et le dispositif de DPC.
Qu’est-ce que ce circuit supplémentaire de vérification est donc supposé apporter, sauf à remettre en cause dans leur ensemble les dispositifs nationaux de formation et de contrôle des professionnels?
– Une prise en charge en psychiatrie infanto-juvénile qui associe toujours soins, éducation et pédagogie, nécessite un jugement clinique fondé sur des compétences professionnelles acquises par l’expérience et l’approfondissement des connaissances de la discipline. La pédopsychiatrie fait appel en outre à une pluralité de références auxquelles la plupart des équipes se sont formées. Si les outils standardisés font bien partie de la formation actuelle en pédopsychiatrie, ils ne sauraient cependant remplacer le jugement clinique qu’ils ne font que compléter.
Les inspecteurs des ARS auront-ils les compétences pour juger de la validité du jugement clinique à l’appui des pratiques examinées?
– Depuis 2012, les professionnels alertent sur les risques de tirer des conclusions simplificatrices des RBP sur lesquelles ont été émises des réserves. Aux dires mêmes de la HAS, aucune méthode n’a fait complètement la preuve de son efficacité. Cette seule question des méthodes a ainsi réduit les débats de manière stérile.
Comment une inspection de l’ARS saura-t-elle éviter de tomber dans cette réduction et échapper aux mêmes conclusions hâtives faites par certains ?
– Les associations scientifiques ne cessent de rappeler depuis 2012 que les troubles du spectre autistique, spectre très large, ne peuvent être traités de manière univoque. Les hôpitaux de jour s’occupent habituellement des enfants avec les troubles les plus complexes, qui nécessitent, plus que d’autres, des projets finement individualisés.
Par quels moyens les inspecteurs des ARS seront-ils en mesure d’apprécier l’approche de la complexité des troubles présentés et l’appréhension de l’enfant par les soignants dans sa singularité ?
– La mise en œuvre des projets est conditionnée par les moyens mis à la disposition des équipes. Certaines professions comme les orthophonistes, sont dans une démographie sinistrée car le statut défavorable offert par l’hôpital Public n’en permet plus le recrutement.
Comment ces données sur les pénuries de moyens seront-elles prises en compte dans les inspections? Comment la DGOS peut-elle demander aux services sanitaires de faire plus avec autant, et ce sans pénaliser tous les autres enfants soignés en psychiatrie infanto-juvénile, enfants qui peuvent présenter des troubles graves mais qu’aucun lobby ne défend ? L’orientation des moyens vers une catégorie de patients crée une perte de chance pour tous les autres.
– Dans la forme choisie, cette inspection est une démarche de contrôle sans partage ni échange préalables sur les objectifs. Et dans le domaine des soins, le contrôle ne peut se réaliser que par comparaison à des preuves scientifiques ou des données probantes vis à vis de procédures diagnostiques ou thérapeutiques, en lien avec une organisation aux moyens validés.
L’inspection est donc une mesure d’exception.
Dans ce cadre, s’il n’existe pas de données scientifiques irréfutables ou au moins de vérité consensuelle, les conclusions d’une telle démarche ne sauraient être opposables, sauf pour des raisons idéologiques voire politiques. En effet, quelles sont les conséquences prévues si un écart est estimé entre les pratiques constatées et les critères érigés à tort comme règles à suivre? Un climat de suspicion des tutelles pour la psychiatrie infanto-juvénile serait-il à l’origine de cette démarche exceptionnelle ?
La conséquence immédiate ne peut être qu’un risque de disqualification de la psychiatrie infanto-juvénile et de ses équipes, qui consacrent pourtant leurs efforts à se coordonner avec les familles et avec leurs partenaires de l’Education Nationale et du médico-social pour l’accueil des enfants porteurs de TSA. Et cela dans un contexte d’offre globale déjà insuffisante.
En choisissant d’inspecter les hôpitaux de jour de psychiatrie infanto juvénile publique , privée des moyens à la hauteur des exigences pour la prise en charge des enfants avec TSA, par surprise et sur des critères non scientifiques et non consensuels, les services du ministère ne servent-ils pas une disqualification programmée de la discipline ?
A terme, ces enfants doivent-ils être écartés du soin, dans un renoncement à la dynamique psychique qui permettra plus aisément le glissement des fonds vers le médico-social?
Les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile seront-ils destinés à n’être que des producteurs de diagnostics sans exercice soignant ?
Il est indispensable que les objectifs réels de ces inspections soient exposés aux professionnels dont les lieux d’accueils et de soins vont être examinés.
Le SPH demande une concertation urgente avec les instances représentatives de la Psychiatrie Infanto-Juvénile avant la mise en œuvre de cette inspection douteuse.
Dans l’attente, veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre considération.
Dr Marc Bétrémieux, président du SPH
Dr Isabelle Montet, secrétaire générale du SPH