Société de l'Information Psychiatrique

Michel Laforcade soulève le problème « essentiel » des ruptures de parcours en pédopsychiatrie


Publié le 05/01/17

Michel Laforcade, auteur d’un rapport sur la santé mentale, a été auditionné au Sénat par la mission d’information sur la psychiatrie des mineurs. Il y a indiqué que l’un des « problèmes essentiels » de la prise en charge en santé mentale de cette population est l’existence de rupture de parcours entre l’intra et l’extrahospitalier.

La mission d’information sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France, présidée par le sénateur Alain Milon (Les Républicains, Vaucluse) et dont le rapporteur est Michel Amiel (RDSE*, Bouches-du-Rhône), médecin généraliste de profession, poursuit actuellement ses travaux. Avant de recevoir et entendre les 10 et 11 janvier prochain des responsables de la Haute Autorité de santé (HAS) et Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris-Descartes, la mission a auditionné le 21 décembre dernier Michel Laforcade, auteur d’un rapport sur la santé mentale, remis en octobre dernier (lire notre article). L’actuel directeur général (DG) de l’ARS Nouvelle-Aquitaine a témoigné du fait que les « territoires sont le lieu d’expériences extraordinaires d’innovation, d’adaptation de l’offre aux besoins« . Mais elles ne sont pas « forcément le fait de l’ensemble des professionnels et des usagers et ne font pas système« , a-t-il modéré. « La prise en charge est hétérogène avec un problème essentiel qui sont les ruptures de parcours et, lorsqu’un parcours est en rupture, ce n’est pas la dimension curative qui pèche — les soins sont très bien dispensés — mais l’accompagnement social et médico-social« , a-t-il poursuivi.

Ne pas opposer l’hôpital et l’extrahospitalier

« Ma préconisation prioritaire, a annoncé le DG, serait l’instauration d’un panier de services sur tout le territoire, en liaison étroite avec tous les professionnels concernés, sans oublier les familles d’accueil, les généralistes, les psychiatres libéraux et l’école« . Selon lui, il ne faut pas « s’enfermer autour du noyau dur de la psychiatrie mais s’ouvrir à tous ceux qui peuvent apporter leur contribution« . Il ne s’agit pas « d’opposer l’hôpital à l’extrahospitalier » mais, au contraire, de les relier dans une cohérence de parcours, a-t-il insisté, afin notamment d’éviter les hospitalisations inutiles. « Dans certains endroits où ce secteur s’est totalement impliqué, où le mouvement de transfert de moyens — en personnel et en finances — de l’intra à l’extrahospitalier s’est réalisé, il y a moins besoin d’hospitalisation« , a-t-il poursuivi. Mais trop de lits ont parfois été fermés dans certains territoires, a regretté Michel Laforcade. Les jeunes « sont alors pris en charge, de manière bancale, dans les secteurs pour adultes, avec une promiscuité qui pose problème« . Il préconise alors de rouvrir « quelques lits là où c’est indispensable » car un accueil d’urgence doit exister pour la pédopsychiatrie. « Pour ce qui est […] des adolescents, […] il ne s’agit pas de créer un service avec des lits standards en permanence mobilisés, effectivement difficiles à supprimer, mais plutôt de l’intersecteur pour des adolescents en situation de crise avec juste deux ou trois lits, pas nécessairement pérennes« , a-t-il développé. Cependant, il ne faut pas perdre de vue d’autres solutions, insiste-t-il, car « plus les moyens sont contraints, plus il faut délester l’hôpital« .

Valoriser les initiatives innovantes

Michel Laforcade a indiqué croire énormément aux innovations. Certains hôpitaux expérimentent des accueils inconditionnels des familles avec l’adolescent concerné, sauf s’il s’y oppose, et « cela répond à un vrai besoin, qui n’est pas si exceptionnel« . Il a également cité le CH Esquirol de Limoges (Vienne), qui a recruté directement des travailleurs sociaux, et des hôpitaux qui ont passé des conventions avec les services sociaux de départements. Il a aussi évoqué l’existence d’équipes mobiles, des interventions à domicile, etc. Il conviendrait donc d’échanger sur les expériences efficientes. « Mon rapport propose un observatoire national des innovations en santé mentale [comme] nous l’avons fait dans la région Nouvelle-Aquitaine », a rappelé le DG. « Il peut y avoir des expériences extraordinaires à proximité immédiate et ne pas en avoir connaissance […]. Je propose de généraliser cette pratique [d’observation des innovations] au niveau national en présentant concrètement une quarantaine d’expériences« , a-t-il annoncé. Par ailleurs, il s’agit selon lui d’utiliser les dispositions offertes par la loi de Santé, comme les communautés professionnelles territoriales de santé. Et d’insister une nouvelle fois sur la nécessité du travail autour de logiques de parcours, « réalité fondamentale et non le dernier terme à la mode« , sans ruptures. Par exemple, « souvent, les handicaps psychiques sont remarquablement soignés à l’hôpital mais si au moment où le patient sort il n’a pas d’accompagnement social ou médico-social pour le logement ou l’emploi, on le renvoie dans un milieu qui lui est pathogène« . Et il se retrouvera « dans la rue puis quinze jours après de nouveau à l’hôpital psychiatrique… c’est un cercle vicieux« . Au sein du projet territorial de santé mentale, l’ensemble des partenaires doit être invité à contractualiser avec l’ARS pour faire vivre les outils offerts par la loi, a-t-il souligné.

Une démographie médicale « cruelle« 

Par ailleurs, les sénateurs ont questionné Michel Laforcade sur la problématique de la démographie médicale. « Les chiffres officiels sont cruels : 50% de pédopsychiatres en moins entre 2007 et 2016« , a-t-il reconnu, tout en ne pouvant « expliquer ce manque d’appétence pour cette discipline« . Cependant, il a estimé qu’il fallait explorer la piste des délégations de tâches. « Nous sommes le troisième ou quatrième pays en nombre de psychiatres rapporté à la population, cela signifie que dans d’autres pays, des actes sont réalisés par d’autres professionnels« , a-t-il développé. « Certes, les psychologues ne sont pas dûment estampillés comme exerçant une profession sanitaire, d’où une impossibilité de déléguer mais cette délégation existe dans les faits dans les hôpitaux. Heureusement, beaucoup d’infirmiers et de psychologues suppléent les psychiatres« , a-t-il poursuivi. Et de conclure à la nécessité de « poursuivre le travail sur la délégation pour se rapprocher de la pratique en vigueur dans d’autres pays« .

Caroline Cordier