Société de l'Information Psychiatrique

L’Irdes analyse les causes de la hausse de 15% de patients en soins sans consentement sur 2012-2015


Publié le 16/02/17

L’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé analyse la hausse de 15% de la file active en soins sans consentement constatée sur 4 ans. La forte augmentation des admissions pour « péril imminent », via les urgences, pose question. Une facilité d’accès aux soins en situation de crise ou une atteinte à la liberté des personnes ?

Comme l’a annoncé la mission d’évaluation sur la loi du 27 septembre 2013 sur les soins sans consentement, qui vient de rendre son rapport à l’Assemblée nationale (lire notre dossier), la publication du rapport de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) sur le bilan de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 était imminente. Cette étude*, publiée ce 16 février, analyse l’évolution du recours aux soins sans consentement depuis la mise en place de la loi en 2011. Elle indique que 92 000 personnes ont été prises en charge sous ce mode de soins en 2015, soit 12 000 de plus qu’en 2012. Cette hausse de 15% est expliquée par plusieurs facteurs, relate l’Irdes : l’extension de la durée des soins en dehors de l’hôpital ou encore la forte montée en charge des soins pour péril imminent (SPI). Une tendance que les députés ont pointée comme une « dérive » du dispositif et qui apparaît « davantage comme un expédient pour désengorger les services d’urgence » que comme la mesure d’exception qu’elle est censée être dans l’esprit du législateur.

+ 128% de patients admis en soins pour péril imminent

En 2015, plus de 1,7 million de personnes âgées de plus de 16 ans ont été suivies dans les établissements de santé publics et privés autorisés en psychiatrie. La hausse de 15% observée est supérieure à celle de la file active totale en psychiatrie (+5%). Elle concerne l’ensemble des modes légaux de soins mais est plus marquée pour les SPI introduits par la loi de 2011. L’augmentation s’observe également pour les hospitalisations à temps plein (+13%). Un premier facteur explicatif est lié à la mise en place des programmes de soins, explique l’Irdes, qui allonge la durée des soins en extra-hospitalier. Et cette population en programme de soins « tend à croître fortement année après année« . Par ailleurs, la population prise en charge sans consentement se renouvelle de plus de moitié chaque année, est-il souligné. Ainsi, en 2015, 64 000 patients ayant reçu ce type de soins n’en ont pas eu l’année précédente. Et le nombre de personnes admises en SPI a plus que doublé depuis sa mise en place en 2011-2012 (+128%), soit 19 500 patients en 2015.

Une majorité de SPI via les passages aux urgences

Initialement « destinée aux personnes désocialisées ou isolées, pour lesquelles il était difficile de recueillir la demande d’un tiers, cette mesure a connu une montée en charge qui dépasse la procédure d’exception« , relève l’Irdes. Il précise que si les admis en SPI en 2015 ont des « caractéristiques cliniques et démographiques relativement similaires » aux admis en soins à la demande d’un tiers (SDT), ils se « démarquent légèrement par une fréquence plus importante des troubles de la personnalité ou liés à l’addiction et des troubles névrotiques« . Enfin, les personnes admises en SPI se distinguent par une durée moyenne de séjour plus courte : 27% des séjours achevés dans l’année en SPI en 2015 ont une durée inférieure ou égale à 72 heures. « Avec la durée plus brève de prise en charge, un des facteurs les plus discriminants de l’admission en SPI semble être le passage par les urgences« , remarquent les rapporteurs. Ainsi, 63% des admis en SPI en 2015 sont passés par les urgences avant leur admission, 6% ont été transférés depuis un autre service et seuls 31% sont venus directement de leur domicile. « Deux dimensions sont avancées par les acteurs de terrain, professionnels et représentants de familles de patients pour expliquer cette montée en charge« , poursuit l’Irdes. Les SPI constitueraient une « simplification de la procédure d’admission en soins […] dans un contexte d’urgence« . Y recourir est alors justifié par la difficulté à attendre la recherche de tiers ou du consentement de la personne pour des patients en crise. Les SPI peuvent également être utilisés « pour protéger le tiers« . La demande d’admission en SDT est en effet « souvent difficile pour le tiers (famille ou proche) et peut nuire à sa relation avec la personne« . Dans le cas des SPI, le médecin porte seul la responsabilité morale et médicale de la décision, souligne l’Irdes.
Proportion de patients admis en SPI parmi les patients admis en soins sans consentement en psychiatrie en 2015, par département de prise en charge (source RIMP)

Une atteinte à la liberté des personnes ?

La proportion de SPI est très variable selon les départements, ce qui « questionne les pratiques et modes d’organisation des soins en urgence des établissements de santé« . Alors qu’au national, deux patients en soins sans consentement sur dix l’ont été au moins une fois en SPI en 2015, c’est le cas de moins d’un patient sur dix dans vingt-deux départements mais de plus de quatre patients sur dix dans les départements de l’Ariège, l’Ardèche, la Creuse, le Lot, l’Eure, la Savoie, la Drôme ou le Bas-Rhin. Ces pratiques peuvent fortement varier d’un établissement à l’autre, voire d’un service à l’autre. En 2015, parmi les 260 établissements publics autorisés en psychiatrie, quarante n’ont déclaré aucun patient admis en SPI mais quarante autres ont déclaré en avoir accueilli plus de 35% sous cette modalité. D’où cette interrogation de l’Irdes : « dans quelle mesure les SPI facilitent-ils l’accès aux soins dans des situations complexes et des contextes d’urgence ou portent-ils atteinte à la liberté des personnes par la simplification des procédures d’admission ?« .
Taux de réhospitalisation à 15 et 30 jours des personnes en programmes de soins, par rapport aux autres personnes hospitalisées en psychiatrie en 2015 (source RIMP)

L’efficacité des programmes de soins en question

L’Irdes se penche également dans cette étude sur les programmes de soins, dont la mise en place en 2011 aurait du limiter le recours à l’hospitalisation. Pourtant les taux de réhospitalisations à 15 et 30 jours sont plus élevés pour les patients suivis via ces programmes. « Les données utilisées ne permettent cependant pas de savoir si ces réhospitalisations constituent une composante du programme (hospitalisations séquentielles) justifiée par le niveau de sévérité des troubles ou si elles correspondent à des rechutes ou réintégrations en hospitalisation suite à son non-respect« , commente l’Irdes. D’où la nécessité d’une évaluation sur ces programmes, estime l’institut, tenant à rappeler que « l’extension d’une forme diffuse de contrainte aux soins au sein du lieu de vie de la personne peut constituer une atteinte aux libertés individuelles et aux droits à laquelle il faut veiller« .
Caroline Cordier

* Coldefy M., Fernandes S. (2017). « Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 ». Irdes, Questions d’économie de la santé n° 222, février.

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