Argument
A l’ère de la grande peur, à la une de tous les médias, le pervers est placé sous les projecteurs de la scène sociale. Terroriste sexuel, figure dévoilée du mal absolu qu’aucun signe ne laissait prévoir, il nous fascine d’autant plus qu’il provoque l’indicible frayeur de la « banalité du mal » évoquée par Hannah Arendt à propos d’Eichmann. Comme à ses tout débuts, la psychiatrie est convoquée pour rendre compte du monstrueux, participer activement au principe de précaution, sommée de se réorganiser et chargée de garder la frontière qui marque l’exclusion des » prédateurs « . L’utopie démocratique de Pinel détachant les chaines des aliénés se renverse sur la fermeture des bracelets électroniques.
Parallèlement, avec le déclin du destin et de la figure du père, l’homme de la postmodernité se donne désormais le droit de jouir sans entrave. Du coup, il consacre le triomphe de la pré-génitalité en s’adonnant aux perversions ordinaires de l’exercice d’une sexualité polymorphe. Et paradoxalement, en psychopathologie, alors que le normal a explosé en une multitude de normalités, la dilatation du concept de perversion et sa généralisation sont à l’œuvre. Le cours est au plus haut niveau, tandis que la valeur névrose est incontestablement en baisse. Des mutations du lien social seraient susceptibles de produire des métamorphoses de manifestations cliniques aboutissant à des néo-perversions, à moins que ce ne soit l’inverse, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes… de psychopathologie. Le harcèlement moral, notion psychosociologique qui s’est développée avec grand succès, ne serait possible qu’au prix de la complicité de l’entourage de la victime… Serions-nous tous, à cette image, des complices en secteur, ou des victimes potentielles prêtes à succomber au piège de l’effet pervers ? Quelles attractions-répulsions obscures entretient notre société, et aussi notre discipline, avec la perversion ? L’étymologie rapproche la séduction de la perversion et en matière de création, de mode, d’esthétisme et d’érotisme, la névrose fait souvent pâle figure à ses côtés.
Y a-t-il d’autres bons côtés, en dehors de celui d’éviter un naufrage subjectif, au maintien de l’illusion qu’opère le déni ? Il ne semblerait pas : » Il n’y a rien à attendre de la fréquentation des pervers narcissiques, on peut seulement espérer s’en sortir indemne » disait Racamier.
Ou donc nous mènera cette rencontre désormais obligée du psychiatre et du pervers là où aucun des deux n’était demandeur ? Pouvons-nous mieux les soigner ? La perversion est-elle à la limite de l’action du psychiatre comme elle serait à la limite de celle du psychanalyste ? La psychiatrie sortira-t-elle indemne de cette montée de la perversion ?