Société de l'Information Psychiatrique

Pédopsychiatrie: une file active en hausse de 7% par an mais des dispositifs publics « sous-équipés »

Le 3 février 2017
PARIS, 3 février 2017 (APMnews) – La file active en psychiatrie infanto-juvénile publique augmente de 7% par an, alors que le système public de santé est « trop souvent sous-équipé », a estimé le président de la conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS), le Dr Christian Müller, auditionné mercredi par la mission sénatoriale sur la psychiatrie des mineurs en France.

Cette mission d’information a été constituée fin novembre 2016 (cf APM MH1OH1GAC). Elle est rapportée par le radical de gauche Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône) et présidée par Alain Milon (Les Républicains, Vaucluse).

Elle a déjà procédé à de nombreuses auditions (par exemple cf APM MH7OIJMO1APM MH0OJPMPFAPM MH1OK00V2APM VL3OKCE78APM MH7OKC8IW et APM LD2OKQYZR) et doit rendre son rapport en avril.

Mercredi, elle a notamment entendu la direction générale de l’offre de soins (DGOS) (cf APM MH9OKPIM9 et APM MH0OKPDWI).

« La situation de la psychiatrie infanto-juvénile est exemplaire de ce que vit la psychiatrie aujourd’hui », a asséné le Dr Christian Müller en préambule de son audition.

« C’est quasiment de manière caricaturale la négation, sinon le déni, de la pathologie, qui a conduit à des impasses cliniques et à des impasses, en conséquence, organisationnelles lourdes de conséquences. Il est difficile pour certains de concevoir aujourd’hui que la maladie mentale existe. Pas seulement, d’ailleurs, pour les acteurs sociaux, mais pour bon nombre d’autres acteurs. Et je ne suis pas sûr qu’on ait évolué, dans la connaissance fine de la part de la population, des problématiques de psychiatrie et de santé mentale », a-t-il précisé.

« C’est tout à fait étonnant » car « historiquement, la pédopsychiatrie a été tout à fait volontariste dans un travail pluridisciplinaire, un travail territorial. La territorialisation, les premiers à l’avoir mis en place, ce sont les pédopsychiatres », a-t-il souligné. « Le centre de gravité de la psychiatrie infanto-juvénile n’a jamais été l’hôpital », a-t-il insisté.

600.000 enfants suivis

« Du côté de la psychiatrie publique, ce sont 600.000 enfants suivis, pour à peu près plus de 300 secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, avec une augmentation de 7% par an de la file active », a-t-il expliqué. « En regard de ça », il a pointé l' »effondrement démographique » des pédopsychiatres, mais aussi d’autres professionnels comme les orthophonistes, ce « qui constitue à mon sens une urgence républicaine », a-t-il insisté.

Il a noté que l’âge moyen de la patientèle se réduisait. « Il y a beaucoup de travaux sur la psychiatrie du bébé et sur l’attachement », a-t-il relevé.

Il a également donné des chiffres sur la maltraitance envers les enfants, qui, de ce fait, peuvent devenir aussi des patients des institutions psychiatriques. Il y a « 100.000 cas connus aujourd’hui dans notre pays » de maltraitance envers des mineurs, « c’est-à-dire 10% de plus qu’il y a 10 ans », avec « 19.000 victimes enfants de maltraitance » et 80.000 enfants se trouvant dans des situations « à risque », dont 45% ont moins de 6 ans. Il a insisté sur le nécessaire soutien à la parentalité.

« Deux enfants meurent chaque jour en France de violences infligées par des adultes », a-t-il déploré.

« Attention aux logiques de spécialisation »

Le président de la conférence nationale des présidents de CME de CHS a ensuite listé un certain nombre de préconisations. Il a ainsi souligné le nécessaire « renforcement, en pédopsychiatrie, des actions de dépistage et de prise en charge thérapeutique », au-delà des seules prises en charge éducatives ou judiciaires.

« Il faut aussi reconnaître que dans certains endroits, l’organisation de la pédopsychiatrie s’est calquée sur une temporalité plus scolaire que sanitaire, ce qui est un problème, puisqu’il faut une disponibilité sanitaire 7 jours/7 et 24heures/24. »

« Il faut faire attention aux logiques de spécialisation » qui ne doivent pas « porter atteinte à l’approche globale et à la polyvalence nécessaires de base des équipes et des dispositifs », a-t-il averti, sur la ligne d’autres professionnels auditionnés par la mission (cf APM VL7OK13RE). « Oui aux centres de ressources, oui aux centres de référence… mais si les enfants ne se retrouvaient pas en Belgique, je ne verrai pas de problèmes… », a-t-il émis (cf APM VL3OJKPY1).

Autre proposition développée par le psychiatre, « intégrer l’apport clinique et psychopathologique des distorsions relationnelles des parents/enfants, éclairés notamment par les travaux sur l’attachement ». « La prise en charge des bébés est très investie, mais ce qui l’est moins, c’est celle des 2-3 ans », a-t-il remarqué.

Il faut aussi « organiser -c’est un point essentiel- une pédopsychiatrie de liaison avec les services de la protection de l’enfance », a-t-il insisté, de même que « du côté médico-social, c’est aussi tout à fait nécessaire ». « Il faut renforcer les liens fonctionnels avec le champ médico-social, les champs social, scolaire et éducatif, et chacun y retrouvera ainsi son métier… », a-t-il estimé (cf APM VL0OK198P).

Troisième bloc de préconisations: il est nécessaire de « rétablir l’accessibilité aux soins, qui est aujourd’hui asphyxiée par l’inflation des demandes de tout ordre », a-t-il asséné.

« Il faut donc aménager, notamment au sein des centres médico-psychologiques [CMP], des modalités de gestion de file active en prenant en compte l’organisation différenciée des réponses, à l’urgence mais aussi aux situations non programmées -ce n’est pas la même chose », a-t-il détaillé. Il faut aussi « poursuivre l’amélioration du dispositif public de sectorisation, encore trop souvent sous-équipé pour mettre en oeuvre les missions de prévention et de soins », a-t-il insisté.

Selon lui, « l’accessibilité aux soins » doit aussi être améliorée « dans leurs modalités, dans leur régularité, et soutenir le rôle des CMP [centres médico-psychologiques] ».

Il s’agit également de « remédier aux carences constatées aux possibilités de soins à temps complet en pédopsychiatrie, dont le bien-fondé doit être réaffirmé comme temps de soins nécessaire, non seulement pour les adolescents mais aussi pour les enfants », a-t-il souligné, précisant qu’il parlait là, certes, d' »hospitalisations de courte durée » et sur « un nombre de lits restreint », mais bien d’hospitalisations nécessaires.

« Le tout ambulatoire a des limites. La fermeture des lits a eu une limite », a-t-il insisté (cf APM VL7OK13RE).

Un temps long, au-delà d' »un mandat » présidentiel

Il a assuré qu’il existait des « points d’appui » pour parvenir à réaliser ses préconisations, notamment l’article 69 de la loi de santé sur le projet territorial de santé mentale (cf APM VL9OHIFLF). « Il est important qu’il indique des orientations sur la prise en charge en pédopsychiatrie et sur la prise en charge des autres acteurs », a-t-il résumé.

Les communautés psychiatriques de territoire (CPT, cf APM SAN4OFP8PC et APM VL9OG0BNV) et le comité de pilotage national de la psychiatrie (cf APM VL4OK8IHH) sont d’autres « points d’appui », a-t-il reconnu.

Mais plus globalement, il a estimé que « ce n’est pas au cours d’un mandat [un quinquennat, ndlr] qu’il y a des effets. C’est ça le problème… ».

Interrogé par les sénateurs sur la formation des pédopsychiatres, il a jugé qu' »on ne peut pas s’étonner de la situation de la pédopsychiatrie quand on sait qu’il y a aujourd’hui sept facultés sans universitaire en pédopsychiatrie. Et vous imaginez la situation dans les DOM-TOM… ».

Il a préconisé que « soit identifiée une formation spécifique de pédopsychiatrie, et qu’elle ne soit pas sous-qualifiée » (cf APM MH9OKPIM9).

Il a également insisté sur les liens nécessaires entre les professionnels et les familles, en déplorant qu' »autour de l’autisme, c’est peut-être unique en médecine, ce divorce entre familles et professionnels de pédopsychiatrie est tout à fait contre-nature, car l’alliance thérapeutique devrait être la règle… »

« Nous souhaitons nous associer à tout ce qui pourrait être mis en place pour favoriser ce dialogue constructif », a-t-il encouragé.