Société de l'Information Psychiatrique

Pédopsychiatrie: le Cnup s’inquiète de « la paupérisation des ressources universitaires »

PARIS, 13 février 2017 (APMnews) – Le président du Collège national des universitaires de psychiatrie (Cnup), le Pr Pierre Thomas, s’est inquiété, devant les sénateurs de la mission sur la psychiatrie des mineurs en France, de « la paupérisation des ressources universitaires de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent », peut-on lire dans le compte rendu écrit de son audition, diffusé sur le site du Sénat.

Cette mission d’information du Sénat a été constituée fin novembre 2016 (cf APM MH1OH1GAC). Elle est rapportée par le radical de gauche Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône) et présidée par Alain Milon (Les Républicains, Vaucluse).

Elle a déjà procédé à de nombreuses auditions (cf APM MH7OIJMO1APM VL3OJKPY1APM MH0OJPMPFAPM MH1OK00V2APM VL7OK13REAPM VL0OK198PAPM VL3OKCE78APM MH7OKC8IWAPM LD2OKQYZRAPM VL0OKQOOF et APM LD1OLB3J4) et doit rendre son rapport en avril.

Lors de son audition, mardi 7 février, le Pr Pierre Thomas a relevé que les « forces universitaires psychiatriques » étaient peu nombreuses au regard des autres disciplines médicales en France, avec seulement « 102 postes de professeurs de psychiatrie, 27 en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et 75 en psychiatrie d’adulte ».

Il a rappelé qu’en France, une faculté de médecine sur cinq n’a pas de professeur d’université en pédopsychiatrie; c’est le cas des neuf facultés, celles de Dijon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Limoges, Tours, Caen, Grenoble, Antilles Guyane et Réunion-Océan indien.

Sur 2.000 internes en psychiatrie, « deuxième spécialité après la médecine générale pour le nombre d’internes », un interne sur cinq, dans ces régions, n’a pas accès à la formation en pédopsychiatrie, a-t-il également déploré, soulignant un taux d’encadrement le plus faible de toutes les spécialités médicales.

Un professeur pour 63 internes

De fait, un professeur encadre aujourd’hui 63 internes, alors que dans d’autres disciplines, c’est beaucoup moins, a précisé la pédopsychiatre Rose-Marie Moro, auditionnée à nouveau (cf APM VL3OJKPY1) mardi avec lui. Pour avoir le même taux d’encadrement pour les internes en psychiatrie que celui observé pour les internes en cardiologie, il faudrait nommer en France plus de 200 professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH), a insisté Pierre Thomas.

« Le décalage est abyssal, alors que les conséquences médico-économiques des troubles mentaux vont au-delà de ce qu’on observe avec les problèmes de cardiologie », a-t-il commenté.

« Dans les villes dépourvues de professeur, il n’y a aucune dynamique pour la recherche. Il faut contacter des PU-PH dans d’autres villes, ce qui rend difficile l’organisation du travail des internes qui sont par ailleurs soumis à des obligations sur leur terrain de stage », a souligné de son côté Bénédicte Barbotin, présidente de l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie, interrogée par les sénateurs au cours de la même audition.

« Il y a peu de terrains de stage en pédopsychiatrie, ce qui rend impossible d’obtenir l’équivalence européenne pour laquelle il faut six stages en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent », a-t-elle regretté, d’autant que les effectifs d’internes en psychiatrie « ont explosé », passant de 1.200 en 2012 à 2.000 actuellement.

Le Pr Thomas a également souligné que « l’offre en postes de chefs de cliniques, qui reflète l’avenir universitaire d’une discipline, est également parmi les plus faibles de l’ensemble des disciplines médicales, parfois 10 fois moindre par rapport à d’autres spécialités ».

« La faiblesse de l’offre de formation génère un risque de perte d’attractivité de la discipline. La psychiatrie universitaire intervient dans la formation universitaire de l’ensemble des professions médicales, dans le cadre du DES [diplôme d’études spécialisées] médecine générale, du DES de psychiatrie et de l’actuel DESC [diplôme d’études spécialisées complémentaires] de pédopsychiatrie. Or les moyens universitaires actuels ne permettent pas de fournir cette formation de base sur l’ensemble du territoire », a-t-il relevé.

« Le message du Cnup est donc une mise en garde sur la paupérisation des ressources universitaires de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qui risque d’affecter son attractivité et son dynamisme et de freiner l’amélioration des pratiques et des innovations », a-t-il insisté.

Marie-Rose Moro a renchérit en citant des chiffres de l’ordre des médecins faisant état d’une baisse « de 48 % des inscriptions de pédopsychiatres entre 2007 et 2016 ».

« C’est inédit et cela montre la gravité du problème. Il faut reconnaître davantage cette discipline à qui, paradoxalement, on demande de plus en plus », a-t-elle relevé. Elle a rappelé que dans son récent rapport sur le bien-être et la santé des jeunes remis au président de la République, François Hollande, en novembre 2016 (cf APM VL7OHEQUS), elle a proposé que « trois PU-PH soient nommés par université pour les bébés, les enfants et les adolescents, ce qui exige une politique volontariste de nominations ».

Une discipline sans tradition universitaire

Interrogé sur les raisons de la désaffection de la discipline par les universitaires, Pierre Thomas a souligné que cette discipline était « très jeune ». « Elle existe depuis une génération. À la différence d’autres disciplines, il n’y a pas de tradition et, tournée vers le soin, la pédopsychiatrie n’a pas eu comme priorité de prendre en compte la dimension universitaire », a-t-il expliqué.

Marie-Rose Moro a confirmé que « la tradition joue ». « On sait que dans telle université, on va nommer plutôt des cardiologues et, dans telle autre, une autre spécialité. Il existe cependant une petite tradition de nomination à Paris XIII, lieu des créateurs de la discipline », a-t-elle précisé, soulignant que « la tradition joue en médecine, sans nécessairement de prise en compte des besoins de santé publique ou les mutations de la société ».

Interrogée par la mission début février, la directrice générale de l’offre de soins (DGOS), Anne-Marie Armanteras de Saxcé, avait expliqué, que dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études médicales, la maquette du DES de psychiatrie n’était pas encore « stabilisée », mais que l’idée retenue était plutôt celle d’une option de pédopsychiatrie d’un an, réalisée au terme du DES de quatre ans (cf APM MH9OKPIM9), plutôt qu’un « co-DES ».

« Nous n’étions pas demandeurs d’un co-DES », a expliqué mardi Rose-Marie Moro. « Nous avons obtenu qu’après un DES de psychiatrie en quatre ans, une option en pédopsychiatrie le complète par une année de formation supplémentaire. Pour obtenir le diplôme, il faudra donc avoir suivi quatre semestres au total dans la discipline. Les psychiatres d’adultes qui n’auront pas fait la spécialisation ne pourront pas prendre en charge les enfants; c’est ce qui a été arbitré », a-t-elle assuré.